La formation des bandes et des gangs
L’éthologie est
la science du comportement animal et la tentative de compréhension du
comportement humain à partir d’une racine
animale commune. Ici l’analyse de processus d’agression chez le poisson
Siam permet de saisir le processus de lutte pour la défense du territoire chez
l’animal, mais aussi chez l'homme lorsque les processus civilisationnels sont défaits chez l’homme
nous nous replions, spontanément, vers des mécanismes « primitifs »
ou « instinctuels » de cristallisation sur un territoire limité et
connu. Le mécanisme de fonctionnement des gangs est très proche du schéma du
poisson combattant. Autrement dit, lorsque le travail de socialisation n’est
plus assuré totalement par une société il y a bien la création de
« monstres », c’est-à-dire d’individus qui n’éprouvent plus les mêmes
sensations et émotions face à la violence, qui n’adhèrent plus aux normes de la
société mais à une sous-culture fondée sur d’autres valeurs. Pour le poisson combattant le centre de son territoire est aussi le centre de son agressivité. Le gang se fonde autour d'une territorialisation, celle de la rue ou de l'immeuble, le gang se forme autour d'une "clique" qui représente 10 à 15 % des effectifs du gang. Le gang lui-même étant constitué de 85% de membres "mous", cad susceptibles de changer de gang ou par opportunités de pratique délictueuse.
On peut définir
un gang comme un groupe de jeunes se reconnaissant par l’adoption d’un nom,
formant un agrégat bien déterminé, commettant un nombre important d’infractions
ceci entrainant une réaction d’hostilité des habitants du quartier et des
forces de l’ordre. Le gang fait régner une forme de terreur sur la population
du quartier et, par extension, inspire de la crainte dans la ville. Il faut
ajouter que le gang possède un faible niveau de cohésion => les normes du gang sont trop peu
distinctes de celles des jeunes du quartier et il y a une pauvreté des buts. Le
ciment du groupe est donc composé de seulement une quinzaine d’individus, la Clique, c’est le noyau dur
du gang. Son activité est principalement dirigée vers le trafic de drogue,
d’armes, de véhicules ou de ses pièces : le gang peut-être confondu avec
une organisation criminelle. Le gang suppose sur son territoire un
environnement d’une extrême pauvreté et une désintégration sociale, on trouve
ainsi des gangs dans les secteurs les plus détériorés socialement =>
isolement culturel et social. Le ghetto aux Etats-Unis, le quartier de
relégation en France.
La cible des campagnes de recrutement des
gangs sont les jeunes entre 12 et 14 ans. Ils subissent des épreuves
initiatiques (ou rites odalistiques) qui vont jusqu’à l’homicide d’un
membre d’un gang adverse. Le recrutement est strictement local. Il suppose des
cibles qui sont désaffiliées, plus les liens familiaux sont délétères plus les
chances d’adhésion au gang sont importants. Famille monoparentale ou père
absent ou démissionnaire. Le gang est alors un moyen narcissique pour le jeune
de valoriser son image et d’atteindre un statut social. La volonté de s’imposer
dès l’adolescence comme un homme craint et respecté est certainement présent
dans cet environnement ou l’enfant a été disqualifié scolairement,
familialement et socialement. Le gang, en ce sens, remplit des fonctions
psychologiques, sociales, économiques, culturelles qui ne sont plus assurés par
les institutions comme la famille, l’école, le travail.
L’expérience
américaine :
La composition
des gangs est double : elle est de l’ordre de l’implantation territoriale
qui s’additionne à une appartenance communautaire ou ethnique. Dans les villes ou l’implantation est
ancienne l’identification devient secondaire par rapport à la recherche
d’opportunités criminelles. Il y a de nombreux gangs aux USA, 19 actuellement à
Chicago. Il y a une désertion de moins en moins importante des gangs aussi les
membres en sont-ils de plus en plus âgés. L’étiquette poursuivant le membre
autant resté à l’intérieur de sa zone de sécurité et de protection. L’univers
carcéral, de plus, renforce les gangs, en son sein il y a renforcement des
identités et des distinctions.
La spécificité
française :
Il y a une
formation de bandes en France avec une composante ethnique forte mais non
discriminante comme aux USA, on parle d’une composante multi-ethnique en
France. Par exemple on dénombrait dans la cité de La Commanderie à Creil
(Nogent-sur-Oise) pas moins de 89 nationalités.. Il y a donc la nécessité d’une
redéfinition du gang pour la
France. Sa construction autour du quartier et même de la rue
est une certitude aux Etats-Unis, en France son lieu demeure plus problématique
(il serait moins géographique même si sa formation suppose un lieu fortement
déstructuré socialement). Le langage (cad la possession d'une infra-langue qui incorpore les signes visibles de cette adhésion : les vêtements, l'allure, la parole) pourrait être ce ciment des gangs, d’où
une concurrence qui ne soit pas seulement délictueuse mais aussi prédatrice
institutionnellement. L’embrasement des banlieues se comprenant comme une joute
entre les différents quartiers. Le retournement de la violence contre les
représentants de l’Etat sous toutes ses formes (policiers, pompiers, facteurs,
employés EDF…) est le signe de cette volonté de « mettre le feu » aux
institutions. Le rap jouant alors un rôle de catalyseur des énergies et de
développement de la violence « faut qu’çà crame », « j’suis un
snipper », « les frères se croisent »…
Genèse d’une situation :
Ce qui fait
défaut aux jeunes des gangs aux Etats-Unis, et pour une part non négligeable,
aux jeunes des bandes en France, c’est la capacité d’appréciation délictueuse
d’une situation. Le sentiment d’empathie, c’est-à-dire la capacité à se mettre
à la place d’autrui, est le plus souvent atrophié. Plus encore il fait place à
une sorte d’anesthésie morale. Il faut comprendre le mécanisme qui obture le
sentiment moral. Le schéma de l’autocontrôle explique la mauvaise traduction de
l’information morale à partir d’une situation familiale et sociale
particulière.
L'Autocontrôle |
L'autocontrôle est plus complexe aujourd'hui car il y a des impératifs d'autonomie plus grands, à l'école où l’apprentissage suppose une participation de l’élève à sa propre formation, où le modèle de l’entreprise est celui de l’esprit d’initiative, où les sollicitations externes (publicité, médias) sont des moteurs puissants d’identification et de consommation et les sollicitations internes (puberté, menstruation) sont plus présents dès un âge précoce. Les barrières entre le bien et le mal, le permis et l’interdit, sont plus flottantes qu’auparavant, les valeurs sont soumises à discussions. Il y a un affaiblissement des régulations sociétales qui est lié à la demande d’autocontrôle, cette formulation et cette pression entrent en conflit avec la part d’indétermination des valeurs. Il y a un désajustement entre l’ouverture psychique des individus et les exigences de l’autocontrôle. Pour que l’autocontrôle soit une réussite il faut un cadre affectif, culturel, économique favorisé.
Nous parvenons
donc à affirmer que les actions délictueuses d’une partie de la population
peuvent s’expliquer non pas du côté d’une absence d’informations morales mais
par une « perversion » de cette information dès le plus jeune âge. On
constate, dans une étude sur le rapport au quartier et l’engagement dans la
délinquance des enfants d’immigré maghrébins, que la place de l’enfant
vis-à-vis des institutions est liée à la situation d’incertitude des parents
face au pays d’accueil. Il y aurait un « héritage vernaculaire » de la
défiance. Ce que nous nommons insertion n’est que le processus qui doit
conduire à l’intégration des valeurs du pays dans la conscience de l’individu.
Les enfants « rétifs » ou « insoumis » refusent cette
ingestion des normes qui demeurent alors extérieures et non légitimes. Ils se
disent souvent eux-mêmes ni dedans, ni dehors. Ils sont en situation de vacance
de sens et de légitimité, il y a une incertitude représentative. Dès lors ils
prennent facilement leurs pairs comme support d’identité. Il s’agit d’une « représentation
totale » car nous croisons la même analyse pour le rap, la première cause
évoquée pour ne pas obéir aux commandements des institutions et à leurs
représentants serait le détournement à son profit des lois par l’Etat, qui
donnerait l’exemple du détournement de ses propres règles. Le respect n’est pas
accordé de droit mais est l’effet d’une conquête par la force et la ruse. Le
modèle étant d’égalité entre pairs, la fonction ne peut servir d’élément
identificatoire, seule une valeur individuelle fondée sur la force est
reconnue. Or le représentant de l’institution de contrôle s’attend à ce que sa
fonction soit spontanément perçu comme porteuse d’une valeur et, de ce fait,
digne de respect. Cette valeur étant reniée dès le premier contact la situation
est immédiatement chargée d’agressivité de la part de l’insoumis et de
ressentiment de la part du policier. Nous retrouvons, ici, l’analyse du schéma
de communication horizontal et vertical.Verticalement nous sommes devant le schéma classique de l'autorité et de sa reconnaissance. Ce schéma est celui de la société, la demande de "respect" des policiers est celle de soumission volontaire à l'autorité de l’État en tant que citoyen de celui-ci. De même que l'élève respecte le professeur et celui-là l'administration. Dans le schéma horizontal le respect n'est pas donné par un cadre sociétal mais par un code de violence où la position de chacun dépend de son pouvoir de nuisance. L'apprentissage par les pairs suppose l'absence immédiate de reconnaissance d'un pouvoir qui serait conféré par un statut social.
Lorsque les
parents sont éloignés de la sphère sociale, lorsque les enfants servent de
traducteurs pour les formalités administratives, lorsque l’éducation n’est plus
comprise dans sa signification (est-elle l’objet des parents, de l’institution
scolaire, des éducateurs, des juges ?), lorsque le travail exercé est vécu
comme dévalorisant et méprisant par les parents, ou lorsque l’activité salarié
est absente et que la famille ne peut plus vivre que des subsistes de la Nation, alors l’enfant
s’imprègne du ressentiment familial. Le choix est alors fait de favorisé le
groupe, la bande, ces jeunes passent du temps dans la rue et s’imprègnent de
son code et de ses usages. La pression de la conformité s’exerce tout autant
pour eux que pour les autres enfants, mais la conformité est ici délictueuse
sinon criminelle. Le rapport à l’institution est de surcroît modifié par le
rapport multiplié à l’autorité policière ou judiciaire. Ce qui est exceptionnel
ailleurs est commun ici. La fréquentation de la police et de la justice engage un effet paradoxal, ils ne
sont plus craints. Les parents sont disqualifiés comme porteur d’une parole
vraie, s’ils énoncent le droit ils sont montré comme valets d’un système qui
les exploitent. Ces valeurs sont celles qui les placent dans une situation
dégradante. Et qu’elle peut être la valeur d’une injonction de travailler à
l’école par des parents qui n’y ont jamais été ? Le contexte de la cité
demeure, pour beaucoup, incompréhensible aux parents, la plupart du temps ils
se disent « dépassés ». Le contrôle familial est inopérant. Au mieux
le père incarne une autorité, mais elle reste dans le domaine symbolique, il
est bien le chef de famille, et on le laisse parler comme tel. Mais sa parole
est sans efficace, il n’est écouté que comme représentant d’un modèle familial
fantasmé à partir d’un modèle maghrébin de la répartition des rôles. Ces jeunes
partagent un sentiment d’injustice, alors les délits sont pour eux une
réparation, il y a le sentiment puissant d’être victime. Le passage de la
victime au bourreau s’opère alors très facilement, le délit serait une
rébellion, l’expression d’un mal être social (souvent réel) transforme
l’individu en « délinquant légitime » sorte de Robin des bois du
béton. Mais cette image masque une réalité criminelle bien différente. Les
premières victimes sont les habitants du quartier de relégation, le trafic de
chéquiers volés, les voitures brûlées, les agressions, les viols… visent
d’abord ses résidents.
La
discrimination est de surcroit pensée comme ethnique ou raciste. Après la mort
d’un jeune (Habib) au Mirail tué par un policier en 1998, des revendications
identitaires apparaissent, « l’arabité » est posée, les inscriptions
sur les murs de la cité étaient « Une seule race vaincra. C’est les
arabes » ou « Ne laissons pas la police tués (o) nos frères ».
Mais un constat
plus alarmant reste à produire, 90% des jeunes des cités produisent des actes
délictueux qui pourraient les conduire devant les tribunaux pour mineurs. Il y
aurait une sorte de « normalité délinquante » avec un déplacement
important des seuils. Ce qui ailleurs apparaîtrait comme un délit est ici
considéré comme normal. La fréquentation prolongée de jeunes qui trafiquent, et
qui par ce biais obtiennent des biens de consommations enviés, est un exemple
qui banalise la démarche délinquante, pour la vie. Ainsi même les jeunes qui
n’appartiennent pas à des bandes pensent que le trafic de drogue n’est pas une
activité délictueuse. Les rites d’intégration dans les cités sont
principalement tournés vers la transgression et de défi aux autorités. Il
s’agit bien sûr d’une minorité de jeunes, le noyau dur du quartier, qui a une
réelle activité délinquante et parfois criminelle, mais sa très grande
visibilité sociale et son pouvoir de nuisance fait tort bien au-delà
d’eux-mêmes jusqu’aux enfants qui prennent comme modèle identificatoire cette
petite frange de la population et l’érige en modèle au même titre que celui du
« souteneur » ou du « tueur ». Pourtant au sein d’un
univers fortement criminalisé certains jeunes échappent à l’influence du
milieu. Ce n’est pas par choix individuel ou force de caractère, plutôt par
l’adoption d’un modèle moins criminogène. Lorsque la famille de l’enfant n’est
pas en situation de ressentiment, lorsque l’aigreur est absente, cela n’empêche
pas la pratique de la religion musulmane et la conservation de la langue
d’origine, même de la nationalité étrangère, mais dans tous les cas les parents
sont contents d’être en France et n’envisagent pas de retour au pays d’origine.
Il y a alors une acceptation qui fait écho chez l’enfant. L’attachement à
l’école doit se penser du côté de ce rapport aux parents, les parents accordent
une importance à l’école et l’enfant de même. Le contrôle social est donc
présent chez ces jeunes, ils exercent un autocontrôle sur leurs actions. Cette
intériorisation des normes de la société permettant de rendre
« naturelle » l’adoption des règles de comportements en usage dans la
société française.
Le problème des violences urbaines doit donc se comprendre aussi par des facteurs extérieurs, ici psychologiques et sociaux, en gardant présent à l'esprit que la source directe de la criminalité est d'abord le criminel - il ne s'agit pas d'excuser le crime par les circonstances mais de pouvoir agir sur ces circonstances pour limiter ses effets.
1 commentaire:
Très bon blog, clair et instrutif !
L'article en deux parties sur les violences urbaines espoe bien les caractéristiques de ces jeunes auteurs de délinquance : parole et allure communes, désintégration sociale, éducation défaillante et situation familiale chaotique.
De fait, ces jeunes sont amenés à ce qui est très justement appelé une inquiétante "normalité délinquante". Cependant, on a souvent vu (par exemple en Italie et dans les pays d'Europe de l'Est) des groupuscules de jeunes en perdition présentant les mêmes critères que ceux décrits dans l'article agir de manière délinquante pour le compte d'organisation bien plus massives et bien mieux ancrées dans le paysage socio-politique (communément nommées les Mafias). On est donc tentés de se poser la question : en France, y-at-il une hièrarchie de la délinquance (différente de l'opposition entre membres "mous" et leaders) allant des simples executants comme ces jeunes et remontant jusqu'au crime organisé qui les controle ? Et considérant qu'il y'a bel et bien à la tête de certaines bandes délinquantes le Grand Banditisme, quel pourcentage de la délinquance globale cet effectif représente-t-il ?
Quels liens , si liens directs il y a, unissent les Mafias aux délinquants des cités (comme à Naples, par exemple.) ?
Ces questions en amènent une autre, plus concrète : en France, le travail des policiers chargés de reprimer la délinquance devrait-il être plus coordoné avec celui des brigades judiciaires de lutte contre le Crime Oragnisé et le Grand Banditisme ?
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