dimanche 28 octobre 2012

la violence scolaire : la sanctuarisation 1/2


 autorité, sanctuarisation, sécurité, tolérance zéro.

 Le jeudi 28 mai 2009 le Président de la République dans une allocution déclarait « nous devons sanctuariser les établissements scolaires ». Plusieurs incursions violentes dans des établissements scolaires ont motivés cette décision annoncée à Gagny en Seine-Saint-Denis. Cette parole est performative, elle entraîne avec elle une prise de conscience nouvelle de la réalité de la violence scolaire en même temps que des réactions vives et des résistances. L’emploi du terme de sanctuaire appliqué à l’école implique la place particulière qu’elle recouvre dans l’espace de la République. Il s’agit de poser la liberté d’apprendre dans le cadre d’un « thesmos (1) » inviolable. Le glissement du sanctuaire de son sens religieux vers le profane démontre symboliquement que le terrain de la scolarité est devenu celui du sacré. L’école se définit de facto comme un lieu clos en dehors des vicissitudes extérieures. A l’image de ce que Winnicot nomme « aire transitionnelle » et qui définit la culture comme lieu ou les tensions dues à la vie en société sont suspendues : « nous supposons ici que l’acceptation de la réalité est une tâche sans fin et que nul être humain ne parvient à se libérer de la tension suscitée par la mise en place de la réalité du dedans et de la réalité du dehors, nous supposons aussi que cette tension peut-être soulagée par l’aire intermédiaire d’expérience, qui n’est pas contestée (art, religion,etc) » (2) , espace de la culture comme espace inviolable et incontestable, moment d’une transmission du « lot commun de l’humanité » à la condition d’avoir « un lieu où mettre ce que nous trouvons » (3) : un sanctuaire, une école. 
Les questions que cela soulève sont multiples : d’abord cette protection contre les forces externes rencontre la place particulière des violences à l’école où les attaques proviennent le plus souvent de l’intérieur même de son enceinte et des jeunes qu’elle doit  protéger (4); ensuite l’isolement de l’école dans des frontières tranchées est généreuse mais dangereuse, car sa sécurité ne peut être que le résultat d’un tissage entre différents acteurs qui ne sont pas tous à l’intérieur de son enceinte. L’isolement de l’école ne peut être que le fruit d’un rapprochement avec une foule de partenaires (5) ; enfin la séparation de la sécurité et du pédagogique produit une scission qui invalide la possibilité d’une reconnaissance de l’importance de la sécurité pour tous les acteurs du système éducatif. Certains ont pu voir dans cette application du terme la reprise d’une référence non plus religieuse mais belliqueuse, une torsion vers le stratégique ou le guerrier, la référence est alors directement celle de son usage pendant la « guerre froide » (6) . C’est le lien entre « sanctuarisation » et « tolérance zéro » qui produit cette assimilation, aussi cette déclaration du Président de la République dans le champ de la sécurité publique qui tend à faire comprendre la tolérance zéro seulement du côté de la répression « aucune rue, aucune cave, aucune cage d’escalier ne doit être abandonnée aux voyous. Je veux que se multiplient immédiatement les opérations coups de poings ». Comment comprendre dès lors la politique de la sanctuarisation autrement que comme l’extension d’une politique sécuritaire qui s’interdit la réussite en méconnaissant le rôle fondamental de la communication et du dialogue dans l’arsenal même de la tolérance zéro.


S’il peut sembler relativement  facile de se prémunir contre les attaques extérieures il est plus complexe de lutter contre celles qui sont perpétués du dedans. Le véritable problème de la sanctuarisation c’est de penser l’école en dehors de la cité et des turbulences de la vie sociale, véritable endroit d’égalité et de promotion des individus, sans une prise en compte du fait que le jeune qui sort de la cité pour entrer dans l’établissement scolaire n’est pas dans une logique de rupture mais de continuité des rapports  qu’il entretien ordinairement avec les adultes et l’autorité (7) ,  Eric Debardieux rappelle que la sociologie de la violence scolaire épouse celle de l’exclusion sociale (8) , affirmant que les risques sont concentrés « dans 5 à 10 % des établissements, situés dans des zones défavorisées » (9) . Ce mécanisme de sanctuarisation ne peut donc s’appliquer que si l’école se donne les moyens d’une rupture identitaire chez le jeune, il déposerait en entrant les habits de la révolte et la totalité des valeurs qui le fonde pour devenir un jeune apprenant,  comprenant le rôle essentiel de l’école et sa fonction intégrante…
La « sanctuarisation » pour ne pas être un simple leitmotiv politique doit se donner les moyens de la tolérance zéro par une surveillance accrue des lieux de vie avec une attention toute particulière à rendre visible les adultes et les acteurs pédagogiques. Xavier Darcos, Ministre de l’Education Nationale préconise une série de mesures pour lutter contre la violence scolaire : la mise en place des équipes mobiles de sécurité, ces équipes constituées par des agents du Ministère de l’Intérieur apportant une expertise sécuritaire nouvelle et une connaissance des gestes techniques professionnels. Une modification du statut des personnels d’encadrement et d’éducation permettant l’ouverture et la fouille des sacs, mais aussi la possibilité d’établir un procès verbal constatant l’infraction en cas d’intrusion d’une arme. La mise en place de sanctions financières pour les parents et la formation des professeurs à l’exercice de l’autorité. Le partenariat entre l’ESEN (10) et l’INHES (11) doit se comprendre comme la construction d’un lien collaboratif entre les acquis de la recherche sur la sécurité et la formation des personnels d’encadrement de l’Education Nationale. Le préambule de la convention cadre de ce partenariat rappelle la volonté politique qui préside à sa création en le déterminant comme « enjeu prioritaire pour l’Education nationale et l’ensemble des institutions de l’Etat ». De même que le partenariat entre le ministère de l’Intérieur et celui de l’Education nationale tisse des liens entre police et école (12) . Georges Fotinos, ancien Inspecteur Général de l’Education Nationale,  souligne que la sanctuarisation ne peut se penser dans l’école sans s’étendre à la ville car autrement dès que jeune « franchi la barrière il retombe dans un autre milieu avec ses valeurs ». Porter donc la parole de la sécurité au-delà des frontières de l’école et  « créer à l’intérieur de l’établissement toutes les conditions pour que tout le monde soit bien, et créer de ce fait une identité ». La sanctuarisation  étant alors le moyen d’une consolidation identitaire, d’un maillage indispensable à la création d’une « sécurité active » (13) à l’école. Il y a ici description d’une forme de « tolérance zéro » qui ne s’arrête pas à la seule frontière de l’école mais sanctuarise la rue, le quartier, la ville. La circulaire relative à « la sécurisation des établissements scolaires et au suivi de la délinquance » (14) précise que « le dispositif mis en œuvre ne doit pas être circonscrit aux seuls bâtiments scolaires. Il doit intégrer un contrôle adapté de l’environnement scolaire et la maîtrise du secteur d’implantation de l’établissement ». Elargissement nécessaire donc de la zone de protection et d’intervention. Luc Chatel, Ministre de l’Education nationale affirme que la mort du jeune Hakim (18 ans) tué de plusieurs coups de couteau dans l’enceinte du lycée Darius-Milhaud au Kremlin-Bicêtre (15) est un drame qui doit contraindre l’Etat à sortir des « plans antiviolence (qui) se succèdent mais n’apportent que des réponses immédiates » (16) ,  l’idée d’une réponse globale est celle de la tolérance zéro.


Crise de l’autorité :
Victor Hugo dans les Misérables écrivait  « tous les crimes de l’homme commencent au vagabondage de l’enfant » (17) . Notre société invente  « les orphelins de 16h30 », jeunesse délaissée par les adultes qui trouve comme lieu de construction la rue. Ce rapport précoce à la rue est à l’origine d’une rupture identitaire entre la société et ses normes et les jeunes. Dans notre civilisation nous privilégions pour nos enfants des rapports choisis et peu nombreux, une amitié avec des liens forts. Au contraire les familles des ZUS privilégient un rapport précoce à la rue, l’exposition aux dangers permettant à l’enfant de s’endurcir dans un environnement social difficile, connaître les enfants du quartier lui permettant de se mouvoir sans risque, des relations élargies qui n’engagent pas un rapport particulier ou exclusif. 
L’analyse psychologique qui tend à relativiser l’acte délictueux par l’âge de son auteur est une constante du droit. Nous sommes en cela héritier du droit spécifique de la justice des mineurs et de l’ordonnance de 1945 qui stipule que le mineur ne doit pas être jugé à la même aulne que les majeurs, il faut privilégier l’éducatif sur le répressif, mettre au centre de l’attention et de la justice non pas la victime mais l’auteur du délit. Le jeune délinquant fait ainsi l’objet d’une attention croisée et bienveillante. Denis Salas (18) , ancien juge pour enfants, s’interroge pourtant sur la mutation possible de ce droit au regard des nouvelles formes de délinquance qui apparaissent  dans les années 80, non plus seulement une délinquance d’accaparement mais aussi une délinquance d’exclusion qui préfigure la violence « anomique » ou l’acte délinquant devient gratuit et n’engage plus la conscience de la malignité de son action chez son auteur. Cette  délinquance d’exclusion désigne à la fois la délinquance de prédation que les jeunes organisent dans les quartiers dits de relégations urbaines et la source même de cette délinquance la cette transformation de la société. Ce serait ainsi le ressentiment des parents qui engagerait chez l’enfant un sentiment aigu d’injustice qui entrainerait le jeune sur le chemin de la délinquance. La violence se renforce de l’impunité institutionnelle ou de la peur qu’elle suscite chez les adultes eux-mêmes. Les analyses sur l’autorité montrent que la refondation de l’autorité verticale chez les jeunes ne peut se produire facilement chez ceux qui ne fondent plus l’autorité que sur la force, à partir seulement d’une autorité horizontale (19) . La perception même du délit s’est déplacé, ainsi 90 % des jeunes qui habitent dans les ZUS pensent que la consommation de cannabis (et par conséquent son trafic) n’est pas un délit (20) . Il y a une modification de la norme  qui empêche ces jeunes d’évaluer éthiquement une situation de déviance.  Absence d’un référentiel commun qui est le creuset de toutes les violences. L’explosion des plaintes des policiers pour injure à un représentant de la force publique est l’indice d’un fossé profond entre les jeunes et les institutions, celle de l’école étant vécue par eux comme le lieu de la mise au ban, il n’est pas neutre que lors des émeutes les écoles soient une cible privilégiée, comme une revanche ou un exutoire. Les jeunes  « jouent » les émeutiers, un élève qui passera en conseil de discipline pour participation active à une tentative de mise à feu de poubelles et incitation à la destruction avouera être rentré chez lui pour mettre la tenue ad hoc (21) ; pantalon de sport, sweat à capuche et cagoule. Porter le signe de la menace, jouer à faire peur, puis basculer dans la violence en se prenant au jeu. Ces signes ne sont efficaces que parce qu’ils renvoient à une possibilité de violence réelle, la volonté de faire peur est prise dans un sentiment de puissance que rien n’invalide ni n’arrête sans la digue de la force publique. Il suffit la plupart du temps de déployer des adultes pour permettre de sortir des conflits, le renforcement des équipes à la gille ou porte de l’établissement est un paramètre fondamental de la préservation des locaux et des personnes.

publicité américaine pour le port d'armes dans les établissements scolaires
Mais on ne peut rendre totalement compte de la violence scolaire si l’on ne comprend pas que le personnel en est partie prenante, la crainte que les jeunes désormais inspirent modifie la perception des personnels d’éducation. Chaque intervention pour incivilité ou faute se double désormais d’un affrontement sur la légitimité même de l’intervention de l’adulte. Le jeune en ZUS ne reconnaissant que l’autorité directe d’un enseignant qu’il connaît et refuse toute semonce par un autre membre de la communauté scolaire. C’est-à-dire que toute intervention des personnels se solde immanquablement  par une aggravation de la situation et souvent des insultes et menaces. D’où le laissez faire des adultes qui par lassitude ou crainte renoncent à une intervention qui engage stress et danger physique : cet abandon relatif est aussi un blanc seing signé aux perturbations et incivilités qui renforcent ainsi un sentiment d’impuissance et d’impossibilité d’intervention. 
La violence scolaire serait elle-même une réponse à cette autre violence celle-là institutionnelle  que Xavier Pommereau, psychiatre au Centre Universitaire de Bordeaux désigne comme premier facteur de la violence à l’école, il pointe « les toilettes sales et délabrées, l’absence d’adulte pour accueillir les élèves à l’entrée de l’établissement (qui) peuvent être perçus comme des signes d’abandon » (22) . Propos repris par une ancienne psychologue à la Protection judicaire de la Jeunesse, Marylise Vaillant qui parlant de l’impulsivité des adolescents dira « s’ils sentent qu’autour d’eux les mailles du filet se distendent (…) ils sont tentés de passer à l’acte : agression d’un enseignant, viol, racket mais aussi suicide » (23) . Ici le processus décrit d’effritement du tissu social renvoi au constat aujourd’hui ancien de Philip Zimbardo, psychologue à l’Université de Stanford, qui en 1981 menera une expérience qui n’est pas d’abord à destination de la police mais produite pour analyser le comportement des personnes en sollicitation de déviance. Elle permettra d’affirmer que ce n’est pas la délinquance qui crée le sentiment d’insécurité mais ce sentiment qui permet la délinquance. Retournement dialectique exemplaire de la cause et de l’effet. Lorsqu’un carreau est brisé, lorsque rien n’est fait pour le remplacer alors il y a une licence de dégradation. Si  l’espace urbain est délaissé, si des tags apparaissent sans être nettoyés, lorsque des sanctions ne sont pas prises la délinquance peut occuper ce terrain déjà gagné par la peur. L’intimidation est en place lorsque le « laissez-faire » s’installe, si le passant peut-être molesté par un ivrogne ou un clochard sans intervention extérieure alors le terreau de l’agression délinquante devient fertile. Le rôle de la police n’est donc pas ici dans la seule intervention, elle doit prévenir par anticipation des délits plus graves qui se forgent à partir des incivilités mineures. La prévention des délits est la première forme de la tolérance zéro qui est fondée sur une dissuasion situationnelle (24) et non par une dissuasion par la sanction. N’est ce pas ce même constat pointé par le « délaissement de l’adulte » ou « les mailles du filet se distendent » ? Il y aurait un phénomène d’occultation de la violence par les adultes (25) , une enquête menée à Lille dans des écoles primaires montre que le sentiment d’insécurité et de perception des violences diffère sensiblement entre enfants et adultes : les écoliers à 33,3% voient « énormément » et « beaucoup » de violences dans leur école pour seulement 8,6% des adultes. Cet écart s’expliquant à la fois par le fait que des relations violentes sont ressenties comme normales entre enfants par les adultes, par le fait que cette violence à pour cadre la cour de l’école où les enseignants sont centrés sur les relations avec leurs collègues afin d’échanger professionnellement et personnellement et non sur les activités des élèves. Trop souvent une forme d’idéologie de la non-intervention existe chez les enseignants « il faut laisser les élèves se débrouiller avec leurs histoires », discours de l’aguerrissement comme  propédeutique à l’autonomie qui méconnait que la dite autonomie est le résultat de la confiance et non celui de  l’angoisse.
 

1 Le thesmos est du côté de la loi non écrite, immuable et éternelle des Dieux en opposition au nomos qui est la loi écrite et provisoire des hommes pour les grecs anciens. 
2 (Winnicott, 1971, p.24) 
3 (Winnicott, 1971, p.137)
4 Les intrusions violentes  représentent 15% des faits graves, « Les actes de violences recensés dans les établissements publics du second degré en 2010-2011 », (MEN, 2011)
5 Les associations de parents d’élèves, les parents, la mairie, les services de l’Etat et les élèves et les personnels des établissements qui sont les acteurs indispensables de la paix scolaire. 
6 « L’opposition des deux blocs et la menace atomique ont fait qu’a été considéré comme « sanctuaire » tout ce qui, attaqué par l’ennemi, provoquerait le réaction immédiate de l’autre » in (Noudelmann, 2009)
 7 Analyse de ce rapport à l’autorité dans 
8 Eric Debardieux, article paru dans le journal Le Monde du samedi 3 avril 2010, titre : pas de schémas simplistes pour aborder un phénomène complexe, p.12. 
9 Eric Debardieux, article paru dans Le Figaro du mardi 6 avril 2010, titre des états généraux pour des réponses à long terme, p.6
10 Ecole Supérieure de l’Education Nationale.
11 Institut Nationale des Hautes Etudes de Sécurité. 
12 http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_la_une/toute_l_actualite/securite-interieure/securisation-ecoles 
13 Concept présenté lors d’une audience auprès du Préfet de la Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, le 08 mars 2011.
14 conférence de presse du 23 septembre 2009
15 Mort le 08 janvier 2010.
16 Entretien avec Luc Chatel, propos recueillis par Charles de Saint-Sauveur, Le parisien du mardi 6 avril 2010
17 (Hugo, 1862, Troisième partie, Livre I, Chapitre VI)
18 (Salas, 1998)
19 Ce phénomène se doublant parfois d'une appartenance à une bande où à un gang aux Etats-Unis. 
20 (Ogien, 1999).                                      
21 Conseil de discipline du lundi 7 novembre 2011 au lycée de l’Essouriau, Les Ulis. 
22 (Perron,7 avril 2010) 
23 Ibid.
24 Ainsi la police New-Yorkaise développe une stratégie de visibilité de l’uniforme et de lisibilité de son action. Voir (Novarese, 2009)
25 (Carra, 2009). 

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