samedi 28 mai 2016



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jeudi 16 avril 2015

Drone de drame



« Drone de drame ».


Le drone apporte une révolution dans l’art de la guerre, celle d’une technologie qui permet de tenir à distance le soldat du lieu du conflit. Le prix du sang versé pour les démocraties devient trop cher, nous ne voulons plus voir mourir nos soldats – le drone est cet alternative qui permet l’intervention tout en limitant l’exposition des soldats mais aussi parce qu’il viendrait assurer d’une « guerre propre » : seuls les cibles reconnues sont éliminés car les processus de contrôles sont multiples et efficaces. Ce que le drone permet c’est l’apparition dans la guerre du « calcul éthique » comme donnée intégrante de l’ordre de frappe. Non plus à distance comme un facteur exogène mais intégrée comme paramètre de la mission.  Désormais les cibles apparaissent sur les écrans, des sources indirectes valides la perception : images satellites, hélicoptère avec ou sans pilote, éléments terrestres, le drone lui même  – l’ordre de frappe est donc lié à une intention qui n’a plus à prendre en compte le danger pour sa vie, source de stress et d’actions irréfléchies,  mais n’a plus qu’à se concentrer sur la mission. L’ordre de tire intègre alors un choix éthique, un calcul au sens pascalien – tirer ou renoncer – l’échec de la mission est désormais lié à des éléments qui auparavant ne pouvaient entrer en ligne de compte et qui aujourd’hui sont au centre de la réflexion du soldat pilote de drone : qui sont les cibles, combien sont-elles, quels types d’armes possèdent-elles. Prése,ce où non de civils, environnement ? Jusqu’au dernier moment la mission peut-être simplement annulée – le coût sera alors seulement financier. Cette maîtrise du ciel et du sol permet d’atteindre des objectifs ciblés, cela suppose bien sûr un renseignement préalable indispensable pour la frappe. Et il faut parfois des mois de traque, de surveillance, de filature, d’écoutes... avant de donner l’ordre de tir. Les détracteurs des drones parlent d’un combat asymétrique, l’aseptisation de la guerre devenant le leitmotiv de l’Occident qui derrière ce paravent pourrait commettre tous les crimes. Plus pernicieuse cette destruction ferait aussi le lit du terrorisme, déplaçant le terrain d’affrontements au cœur de nos villes et de nos démocraties. Le combattant ennemi impuissant contre la maîtrise technologique de l’Occident déplacerait la guerre sur le sol de celui-ci. Mais n’est-ce pas plutôt que les conditions de l’engagement de nos armées se sont profondément modifiées ? Que nos opinions publiques ne peuvent plus admettre que nous risquions en des contrées lointaines leurs vies dans des engagements incertains et idéologiquement trop complexes pour en tirer une maxime radicale d’engagement. Symbole d’une guerre sans courage puisque sans risque pour les pilotes. Comme si la valeur de la guerre était seulement celle de la puissance physique et de l’exposition corrélative au danger. Oubliant les apprentissages de David contre Goliath, du lance pierre contre la force brute ; comme ceux de la bataille d’Azincourt où la technique de l’arbalète apprise par des manants défait une chevalerie séculière. Pourquoi une telle volonté « archaïque » de l’opposition frontale de deux corps perdure t’elle ? Pourquoi cet éloge de la guerre comme archétype du courage ? Pourquoi cette fascination pour le corps exposé puis meurtri du guerrier ? Le long apprentissage de la guerre a été celui de sa mise à distance progressive des corps, victoire de la technique et de l’intelligence sur la force brute, alors pourquoi faudrait-il condamner la diminution des risques pour les soldats des armées des pays développés lors d’opérations extérieures ?
Le courage est certes une vertu mais toute vertu est corruptible. Le courage fondé sur l’oubli de sa propre souffrance peut se muer en insensibilité à la douleur d’autrui. Il faut se demander ce que véhicule le concept de courage lorsqu’il devient une valeur. Le courage est aussi celui de la brute, ce fut le mot d’ordre du soldat SS – vaincre par courage – et basculer dans l’inhumain... Car il y a une proximité entre ces positions : le drone est l’exemple de la mise à distance de la mort, nous savons que la dilution de la responsabilité du pilote d’un bombardier est proportionné à la plus ou moins grande hauteur de vol ;  « la brute » pour sa part ne voit que l’occasion d’écraser autrui, de le rendre « chose » dans la manifestation de sa puissance. Dans un cas la responsabilité disparaît dans l’autre elle n’apparaît pas.
Le drone est l’arme du riche, il permet le contrôle et l’exécution de l’action. Avec cette réserve qu’il ne peut permettre que des attaques ciblées et non massives. Il est l’arme de l’antiterrorisme et non de la guerre au sens classique. Et ici nous tenons sa contradiction : il est utilisé principalement comme arme de « police » et non de guerre – il  est peu engagé dans la confrontation d’Etat à Etat mais plutôt de l’Etat contre des groupes armés. Sa première apparition sur la frontière entre Israël et la Palestine servira d’abord au contrôle puis à la destruction de cibles passant cette frontière pour commettre des attentats. D’abord doté d’un missile air-sol il avait un pouvoir de destruction limité à une cible humaine. Aujourd’hui l’armée américaine possède des drones capables de détruire un immeuble, soit une charge de 30 tonnes pour un bâtiment de 3 étages. C’est la nature de l’engagement qui change, non celui de la guerre. Le drone ne fait qu’intégrer les nouveaux paramètres de l’Occident. Mais c’est au-delà de ces aspects qu’il faut aller pour saisir l’avenir du drone, non dans les zones de guerres mais dans les zones urbaines.  La miniaturisation, l’autonomie, la discrétion en font un objet qui deviendra primordial pour le renseignement et l’action puisque doté d’une caméra et d’un armement incapacitant il permettra de cibler puis de neutraliser un individu remarqué dans une foule, charge aux unités spéciales ensuite de le récupérer. Mais il est conséquemment aussi l’objet de toutes les inquiétudes tant du point de vue des libertés civiles (dont il peut s’extraire pour surveiller discrètement une personne ou un site) que de celui d’un usage non réglementé et donc dangereux  (les survols nombreux des centrales nucléaires alarmes sur les missions que pourraient remplir un drone civil actionné par un groupe terroriste).