mercredi 10 octobre 2012

La vidéosurveillance en Angleterre


Au moment où le gouvernement français décide de freiner l'implantation des systèmes de vidéosurveillance voici le bilan tiré de l'expérience anglaise, résultat en demi-teinte : la vidéosurveillance est une aide à la résolution d'enquêtes mais ne permet pas d'empêcher les agressions.



La première chose qui frappe en entrant dans la gare de Waterloo à Londres c’est le nombre de caméras de surveillance. En restant en un même point et en tournant sur soi-même on peut en compter jusqu’à quarante cinq. La gare est entièrement tissée d’un réseau de caméras capable d’identifier et de suivre un individu. Par jour un individu circulant dans Londres est ainsi filmé près de 500 fois. Pour plagier Coluche on peut affirmer que si la télévision est dans chaque foyer c’est le seul pays ou c’est elle qui vous regarde. Après les attentats de 2005 à Londres le parcours des terroristes a ainsi été reconstitué, leurs faits et gestes analysés. Mais malheureusement bien trop tardivement pour stopper l'attaque. La vidéosurveillance serait bien plus une aide à la résolution des enquêtes policières qu’une arme permettant d’interrompre le déroulement d’une action criminelle. Il y a donc une première illusion de la vidéosurveillance, l’omniprésence n’est pas l’omnipotence, enregistrer un crime n’est pas l’empêcher. Ici réside le point d’incertitude des politiques bâtit sur la vidéosurveillance : peut-elle servir à autre chose qu’à une fausse  dissuasion sachant que les crimes ou les agressions ne sont pas stoppés par la présence des caméras car ils sont la plupart du temps liés à un acte impulsif.  Le réseau ou la toile de télésurveillance répondrait plus alors à une volonté sécuritaire sinon à une façade sécuritaire qu’à une véritable parade contre les agressions. Ainsi New-York a obtenue dans la lutte contre la criminalité des succès incontestables sans l’apport réelle de la télésurveillance.
 L'angleterre est un pays particulier en ceci qu’elle engage à la fois la trame la plus serrée en Europe de surveillance vidéo, le fichier ADN le plus renseigné, et laisse en même temps ses sujets circuler sans cartes d’identité : c’est le seul pays européen ou un citoyen ne doit pas justifier de son identité.

Le projet du gouvernement travailliste est de parvenir à mettre en place une carte d’identité qui, greffée aux divers fichiers existants et à la vidéosurveillance, permettrait une des cartographies les plus précises d’Europe sur les citoyens d’un pays. Les événements terroristes dans la capitale Londonienne ont profondément remis en question les libertés ancestrales et la seule parole de la personne pour s'assurer de son identité. Nick Palmer décrit son projet et sa réalisation. Tout d’abord le fichage s’exercera sur les résidents étrangers puis les jeunes et les étudiants, enfin tout le monde.Le relevé d’identité sur un fichier central permettra de saisir toute une série de renseignements personnels et biologiques, fabriquant ainsi la base de données la plus performante d’Europe. La France pour sa part a reculée devant un projet similaire : le projet Edwige, sorte d’équivalent, aurait relié des fichiers et des bases de données qui normalement sont étanches afin de garantir les libertés individuelles et constitutionnelles. Permettant aussi, et ce fut le lieu de la polémique la plus vive, la constitution d’un fichier sur les mineurs et les enfants ; or celui-ci existe déjà en Angleterre tout comme le contenu du fichier des empreintes génétiques qui rappelons le est le plus renseigné d’Europe sinon du monde. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’édifier à la fois une multitude de contrôles et d’avoir des policiers sans armes létales, des fichiers renseignés mais pas de cartes d’identités. Les réticences de la société civile à ce projete se trouvant renforcées par la négligence de l’administration anglaise qui en 2007 à tout simplement perdue des disquettes contenant les éléments fiscaux de 25 millions de britanniques. Le monde d’Orwell à des fissures, la deuxième illusion est celle d’un univers maîtrisé grâce aux technologies de l’information. L’erreur est présente dans les salles de contrôles comme dans la saisie des données, la défaillance technique pouvant  provenir aussi de sa prolifération, les facilités d’usage de ces techniques en ont ouvert l’accès à des milliers d’officiers insuffisamment formés à leur utilisation ni surtout aux procédures qui les accompagnent (réquisitions) ; sans compter la part d’obscurités des systèmes de surveillance eux-mêmes. Aussi la vulnérabilité à l’erreur liée d’abord aux erreurs humaines dans le traitement des données, erreurs quasiment irréversibles dans les fichiers de police. Entre en compte les déficiences des logiciels de traduction et d’interprétation :  le programme Echelon aux Etats-Unis permet l’écoute de près de 4 milliards de conversations, cette masse de données est traitée par des logiciens de détection de mots clés appuyés par une traduction  informatique – cette traduction est pourtant la partie faible du système Echelon puisque certains logiciels de IMO ont échoués à la simple traduction de bulletin météorologique en langue arabe. Le renforcement de l’automatisation n'étant pas le gage de la suppression de l’erreur. C’est la solution américaine qui règle ainsi la question de la violation des libertés individuelles : ce que les gens surveillés décrivent comme intolérables c’est la violation de l’espace personnel, de l’incursion de personnes étrangères dans la sphère de l’intime, de la vie de famille, de la vie sexuelle, or le traitement par les seuls ordinateurs qui sont en dehors de tout affect et de tout jugement permettrait de conserver la surveillance sans l’indélicatesse des oreilles et des sentiments humains. Un ordinateur sensible seulement à des termes, qui reconnaît puis sélectionne les seuls éléments pertinents pour l’accusation. L’angleterre est sur la même voie et certainement pour des raisons similaires, la maîtrise des communications est le fer de lance de la stratégie militaire en Angleterre comme aux Etats-Unis.
Nous sommes donc davantage pour reprendre l’expression de Jean Paul Brodeur ,devant une « surveillance-fiction » que devant une surveillance effective . Mais nous ne pouvons que constater le déplacement de l’interrogation de la police vers les matériels qu’elle utilise ou qu’elle serait susceptible d’utiliser.  Le pari étant de confier les tâches de sécurisation des espaces et des pays à des machines –« corps de surveillants à distance » qui enregistrent et filment le terrain, dotés de système informatique de détection et de gestion des risques ils déclencheraient seuls les alertes – le policier devenant alors le simple « outil vivant » de la machine, comme le citoyen sa matière. L’angleterre tente de déplacer le terrain de la sécurité vers celui de la déréalisation des contrôles et de la surveillance, remplaçant chaque jour un peu plus l’intervention humaine et le règlement amiable des conflits par une société qui reprend les grandes lignes du 1984 de Orwell, des caméras dans les rues et les espaces publics qui enregistrent mais aussi qui peuvent « parler » pour rappeler à l’ordre, une chaîne de télévision permet d’obtenir les images du centre de contrôle, créant ainsi une société « autopolicé ».
 C’est certainement le défi de demain de toutes les nations démocratiques, parvenir à maintenir vivant l’équilibre toujours fragile entre le désir légitime de sécurité et l’aspiration à la liberté

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