Le terme de violences urbaines ne
désigne pas une situation juridique mais un ensemble de comportements
délictueux ou criminels qui vont du tag à l’insulte, du feu de poubelle au
caillassage, jusqu’au guet-apens et tentative d’homicide sur des représentants
de l’Etat. Une émeute est la désignation de ces facteurs sur un territoire et
un temps donné. Chaque action isolée est une violence urbaine, jointes elles
forment une émeute. L'addition des individualités forme un groupe mais cela n'implique pas comme dans une révolution la définition d'un objectif commun et la formulation de revendications.
La voiture qui brûle n’est pas celle des riches mais de ceux
qui habitent le même quartier que les émeutiers, de même les commerces visés
sont ceux de proximité, ceux du quartier et des familles des émeutiers sinon
des émeutiers eux-mêmes. Ceci est une invitation à ne pas prendre les émeutes
pour une déclaration politique d’intention qui en passerait par la violence
pour exprimer son langage, à moins que de dire que les émeutiers sont tellement
en deçà de son articulation qu’ils s’expriment par la violence pour faire
comprendre ce qu’ils ressentent politiquement sans savoir qu’ils ressentent.On constate de même qu'il n'existe pas une solidarité réelle entre les bandes et les cités.
En bref l’on peut affirmer que
les violences urbaines sont en dehors d’une parole politique récupérable,
l’émeute s’oppose en tout point au mouvement social. Même à la violence
terroriste qui, si elle est aveugle quant aux cibles, engage la violence au nom
d’un idéal ou d’une idéologie. Rien dans l’émeute n’est structuré, hormis l’activité
criminelle elle-même. Il faut donc bien parler d'une délinquance urbaine qui prend la forme de la violence.
Le profil psychologique des
émeutiers est celui des délinquants de rues : ils valorisent le présent et
l’action immédiate, les comportements impulsifs et l’affrontement physique
comme mode d’affirmation ou d’acquisition, le vol est pensé comme un mode
acceptable d’obtention des choses. La rage des jeunes n’a pas d’adversaire
social, nous ne sommes pas ici en présence de nouveaux « Robin des Bois »,
ils prennent au contraire pour proie les pauvres et les plus défavorisés – les
transformant ainsi en double victime – à la fois d’un système économique et des
membres de leur propre classe. Les RG arrivent fin 2005 à cette déclaration :
« la France a connu une forme d’insurrection
non organisée avec l’émergence dans le temps et l’espace d’une révolte
populaire des cités, sans leader et sans propositions de programmes. »
(Rapport de la direction centrale des renseignements généraux daté du 23 nov.
et publié par Le Parisien le 7
décembre 2005).
La cause des émeutes est
plurielle, la mort des 2 jeunes mais certainement la communication défectueuse
du Ministère de l’Intérieur et de son ministre de l’époque. On invoque les
phrases maladroites de « nettoyage au Kärcher », de
« racailles », mais ces propos sont de juin (Kärcher) et du 27 octobre
pour « racaille » : le délai entre l’énoncé et la réponse semble
donc trop long pour engager un rapport direct sinon une réponse immédiate. Ce
qui peut cependant être interrogé c’est la place même qu’occupe la loi dans les
discours médiatisés des Ministres de l’Etat, car si les violences urbaines
relèvent du délit et du crime mieux vaudrait certainement que les représentants
du gouvernement utilisent le vocabulaire de la loi plutôt que d’emprunter celui
des délinquants fait d’insultes et d’agressions amenant jusqu’au sommet de
l’Etat le langage de la rue. Il est
cependant difficile d’isoler les phénomènes déclencheurs, parfois des épisodes graves ne finissent pas
en émeutes, c’est certainement l’adaptation du dispositif policier qui est
important – on en trouve l’illustration à Marseille qui n’a pas connue la
flambée des autres villes lors des émeutes (seul signe patent : 234 voitures
brulées soit le double de l’année précédente) L’unité de prévention urbaine se
dit « capable de sentir le degré de tension susceptible de dégénérer en
violences urbaines ». Celui qui dirige l’unité précise « grâce à nos
renseignements, on a su que des jeunes voulaient se rassembler sur le parking
de Carrefour Le Merlan », le dispositif policier à été adapté et renforcé
pour dissuader « les leaders négatifs » qui peuvent provoquer une
émeute à partir d’un rassemblement – l’absence d’émeute est ici imputable à la
qualité du renseignement et à son exploitation intelligente.
Si nous devions recenser les
éléments participatifs d’une émeute nous trouverions :
1-
la contigüité
géographique – l’extension des émeutes suit strictement une logique de
proximité. Le « Centre d’Analyse
Stratégique » (organe de conseil au Premier Ministre) relèvera ses observations sur 122 majeurs passés en
jugement en Seine St Denis montrent que tous les individus ne viennent pas des
communes incriminées mais qu’ils répondent pour la plupart par liens – c’est le
degré d’empathie avec les émeutiers qui crée les conditions de la violence –
les jeunes viennent pour participer.
2- la
composition de la ville, plus les jeunes y sont nombreux plus les risques sont
grands, cette évidence en recouvre une autre plus délicate : la provenance ethnique des émeutiers. Nous
savons qu’aux Etats-Unis l’un des facteurs déterminant les émeutes est le
nombre de « contacts hostiles » entre les minorités et la police. Les
ZUS rassemblent une population défavorisée avec une forte présence de jeunes
issus de l’immigration. Nous savons que dans le département des Yvelines entre
le 3 et 15 nov. 2005 sur 121 interpellations de personnes en flagrants
délits : 95% sont de nationalité française, 64% sont d’origine africaine
se répartissant ainsi / racines nord-africaines (maghrébins) = 35.5 %
Afrique noire = 29 %
Dans les ZUS
on constate une sur-représentation des élèves étrangers scolarisés : 12,1 % contre 4,2 % en moyenne.
La moitié des
familles noires sont localisées en Ile de France / Plus le % de fratries est
large sur une commune plus les risques d’émeutes sont importants.
Les lieux de
l’embrasement initial sont sur-représentés en composante ethnique : 69,4 %
des jeunes de Clichy sous Bois sont issus de l’immigration. (il faut noter que
en Seine St Denis 49,2 % des jeunes sont issus de l’immigration). Sur
l’ensemble de l’Ile de France les jeunes d’origine maghrébines représentent
11,5 % de leur classe d’âge et 7 % ceux d’ Afrique
noire.
3-
la médiatisation
de l’événement est un facteur déterminant. « l’effet de
contagion » se produit à partir des images, une étude américaine (Texas)
montre que l’émeute se repend d’autant plus que la ville possède ses propres
chaînes de télévision. L’absence d’extension des émeutes à d’autres pays
européen devant se comprendre comme l’effet de la faible diffusion des images à
l’extérieur de l'hexagone
- seulement 15
faits constatés en Belgique dont 10 incendies de voitures. A Bruxelles la
police procédera lors d’une manifestation de jeunes à 50 interpellations pour
port d’objets dangereux, port de cagoule, refus d’obtempérer aux injonctions de
la Police- à Berlin et
Brême 5 véhicules sont incendiés
3- dans le même temps la
prise de conscience par les médias du rôle des images dans la fabrication de la
violence conduit les grands médias à un effort
de retenu, le nom des villes n’est plus communiqué, les images de voitures
en flammes ne sont plus montrés – ces décisions sont toutefois tardives et
interviennent lorsque le pic de destruction est passé (soit après le 7
novembre).
4- l’un des facteurs
important est la météo – il ne
s’agit pas d’un facteur déclenchant mais d’un élément aggravant – les
températures du mois d’octobre 2005 approchent les 15°, le 27 oct. Il fait 17°,
18 le 31 oct. Le 8 nov. moment de la décrue des incidents la température n’est
plus que de 11°, à partir de cette date les températures chutent, à partir du
18 nov elles sont toujours en dessous de 4°. Le rôle de la météo est du côté de
la diffusion ou au contraire du frein –
5- enfin le sentiment d’injustice est toujours
formulé lors des émeutes, il faut cependant faire attention car il se nourrit
largement des rumeurs de la foule et de ses soubresauts – les émeutes de 1993 à
Melun sont liées à une rumeur de « pare-chocage » (technique
policière pour stopper les motocyclistes) de 2 jeunes. L’accident de la
circulation se produit sans la présence de la police, il est lié à une sortie
de route, mais la rumeur enfle, les deux jeunes meurent, les émeutes
commencent. Ici on pointe la mauvaise communication et aussi la suspicion de la
population envers la police mais aussi toute forme de représentation de
l’autorité ou de l’Etat.
Ethnicisation des émeutes :
la présence massive d’une minorité sur un territoire favorise les
rapports de force. La minorité au plan national ou régional devenant ici une
majorité le rapport de domination s’inverse.
Une observation (2006) de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj sur les contrôles
d’identité en ZUS montre que les personnes d’origine française sont contrôlées
à la hauteur de 16 % pour une année, le chiffre montant à 33 % pour les
personnes d’origine maghrébine et 30 %
pour ceux d’origine africaine.
Le nombre de
contrôle est de 3,6 en moyenne par personne d’origine française et de plus du
double pour ceux d’origine étrangère. Il
faut cependant noter que ses chiffres ne reflètent pas une volonté hostile de
la police mais plutôt une adaptation stricte à la démographie particulière des
ZUS. (On peut aussi évoquer le résultat faible du syndicat de police proche du
front National : 5,5 % pour défaire l’image du policier raciste)
Caillassage ou incendie – auteurs de 13 à 19 ans – 1999 et 2003
|
Caillassage et incendie
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Poids respectif de ces catégories dans la population française
|
44% français par les 2 parents
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31%
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61%
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38% africains
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52% - sur-représentation des
jeunes d’origine africaine
|
24%
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18% autre origine
|
17%
|
15%
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Rapport de force :
« Les violences urbaines ne se produisent pas ex-nihilo. Elles plongent leurs racines
dans une délinquance juvénile qui obéit à une gradation invariable, du
vandalisme à l’émeute »
La commissaire en charge de la cellule
« violences urbaines » (1997)
Souvent on assiste à des guerres
larvées entre les jeunes et la police – les jeunes de ces quartiers et
principalement ceux d’origine étrangère pensent la police comme une bande
rivale, elle est pour eux une force raciste (expression relevée par Michèle Tribalat
en 1999 lors d’une observation sur la ville de Dreux).
A la proposition « la police
est violente avec les jeunes » répondent oui les 13-19 ans qui pour 31,5 %
des cas commis des actes de violence urbaine contre 3,5 % de ceux qui ne le
pensent pas du tout.
Les incendies peuvent parfois se
justifier pour 42,5 % des jeunes d’origine maghrébine contre 28 % pour ceux
d’origine française. Pour les deux enquêtes dont il est question ici (en 1999
et 2003 sur les violences auto-déclarées) 40,5 r. africaine / 26 % r. française
/ 28% r. autre.
Il faut encore travailler sur la construction possible de la
délinquance :
le « driving while black » - le fonctionnement de la
police peut-il être défavorable aux minorités ? une étude menée aux U.S.A
permet d’approcher de nouvelles difficultés : l’expression qui traduite
signifie « conduire en noir »
qui est le pendant de « conduire sous influence » ce qui est un délit
et recouvre le fait de rouler en étant sous l’emprise de stupéfiant. Ainsi
ironiquement les noirs veulent montrer
qu’il existe un risque à conduire en étant noir.
L’étude porte sur les infractions
à la circulation John Lamberth a fait une étude sur le réseau routier du
New-Jersey :
73
% des conducteurs arrêtés étaient noirs pourtant les afro-américains sont 15 %
à commettre des excès de vitesse contre 13,5 % de l’ensemble des usagers de la
route.
La même expérience produite à
Washington et Baltimore montrera la même chose. Dans le Maryland si 78 % des
automobilistes sont blancs les contrôles s’effectuent à 77% des contrôles était
tourné vers les minorités. La
multiplication des contrôles tournés vers une minorité vient augmenter le
chiffre de sa délinquance en la produisant en un certain sens.
L’utilisation d’une police
elle-même ethnicisée est une piste mais elle ne réduit pas les problèmes – on
entend ainsi souvent « traitre à ta race », « qu’est-ce que tu
fais dans la police » lorsque les jeunes s’adressent aux policiers noirs.
Ils sont de toute façon d’abord perçus comme les membres d’une force
répressive, et dans le même temps les policiers noirs obéissent à la
déontologie de leur profession et à la doctrine qui l’anime. Quelque soit la
couleur des agents ils sont avant tout des membres de la police.
[7,3% des jeunes déclarent avoir
commis un délit lors des années 2004-2005 (93,7 n’en commettant aucun).
Il y a aussi une fragilité plus
grande des familles monoparentales, la fratrie joue aussi un rôle important,
plus la famille est grande plus les risque est élevé = ici l’entrainement vers
la rue et la solidarité.
L’attention de parents est aussi
en cause : lorsque la veille parentale est respectée (demander aux enfants
où ils vont et ce qu’ils vont faire) 3,9
% de ceux là participent aux violences contre
18,7 lorsque cette veille est faible ou inexistante.
Le redoublement est un marqueur
possible : ceux qui ont redoublés deux fois sont 9,9 % à commettre des V.U
contre 5,8 % pour les enfants qui n’ont jamais redoublés.
Sanction, punition - 1,9 % des enfants jamais punis commettent des
violences contre 25,7 % pour les élèves fréquemment punis (soit 13 fois plus).
De même la consommation de
cannabis, d’alcool et pour une minorité aux drogues dures constituent des
facteurs permettant d’évaluer la participation aux violences.
Il y a aussi la séduction du crime
Les jeunes délinquants
recherchent à la fois les sensations, le gain rapide, la notoriété.
Aziz, 20 ans, a jeté des
cocktails Molotov et piller un magasin au métro Saint Denis, déclare le 7 nov.
au soir « quand j’ai vu des CRS dans la cité, et aussi un hélicoptère a
dessus de habitations je me suis dit : ils veulent la guerre ils vont
l’avoir. Alors j’ai mis mon bonnet, mon écharpe et je suis sorti », les
deux jeunes morts dans le transformateur « c’est pas pour eux que je me
suis révolté » - il était déjà connu des services de police pour
« vols et extorsions ». (Le
Figaro, le 14 nov. 2005).
Il y a aussi une dimension
festive pour les émeutiers, des déplacements et des mouvements rapides. L’émeute extrême permet de rivaliser
avec la prise de risque, il faut pour cela chercher la bagarre avec les CRS, lorsque
les CRS ne vont plus entrer systématiquement dans la confrontation et les
pompiers cessés d’intervenir sur des incendies de voitures qui étaient autant
de pièges pour en découdre avec eux et la police et bien les émeutiers vont se
déplacer jusqu’au bord de la cité pour retrouver ce contact avec les forces de
l’ordre. Il y a un contact avec le risque qui est ici aussi le signe d’une
réflexion peu présente, les jeunes agissent alors sur « un coup de
tête », une impulsion, sans médiation par la raison.
Lors des émeutes à Evreux les
jeunes parlent d’une guerre urbaine faite d’embuscades, d’armes préparées à
l’avance – battes de baseball, boules de pétanques, pierres, barres de fer… une vingtaine de CRS arrivés sur place sans
boucliers doivent céder le terrain. C’est le triomphe chez les émeutiers. Mais
il ne s’agit pas d’un jeu, ce soir là deux policières municipales seront
blessées – la première grièvement au visage par le jet d’une boule de pétanque,
l’autre aura le bras cassé et la mâchoire fracturée, et on comptera 9 blessés
dans les rangs de la police nationale.
C’est à la fois le grisement de
l’affrontement et le sentiment de l’impunité qui porte toute foule. Ici un policier montre un des projectiles utilisé par les émeutiers.
Pour comprendre ce que peut-être
une attaque frontale contre les forces de l’ordre qui soit commandée et organisée
il faut se tourner vers le Canada où dans une région proche de Montréal un
soulèvement à lieu dans une réserve indienne et entraîne l’attaque du poste de
police avec des fusils d’assauts AK-47. Au Brésil, une organisation criminelle
qui se fait appeler PCC (« premier commandement de la capitale » dans
la région de Sao Paulo) mène pendant 2
nuits une série d’attaques meurtrières contre des policiers, dans le même temps
des mutineries ont lieu dans les prisons. Le bilan de ces 2 jours (vendredi 12
et samedi 13 mai) est de 52 morts dont 35 membres des forces de l’ordre. De
même que nos pires émeutes sont d’une violence très inférieure à celles des
Etats-Unis : les émeutes de Los Angeles ont duré 6 jours, on dénombrera 54
morts, 2500 blessés et 10 000 arrestations, le coût des destructions est estimé
à 1 milliard de dollars. Le point de départ de cette explosion est le tabassage
par des policiers d’un noir, Rodney King, la scène est filmée et on y voit RK
recevant près d’une trentaine de coups en 80 secondes. L’acquittement des
policiers embrasant le quartier de South Central et provoqua des affrontements
meurtrier entre noirs et Latinos. Ici le soubassement des affrontements est
ethnique et raciste. Ces affrontements se nourrissent de la structure du jury
où 2 latinos siègent pour juger les policiers incriminés, les noirs vont tenir
pour responsable les latinos de cet acquittement.
Voila peut-être ce que seront les
prochaines émeutes, voila à quoi il faut se préparer.
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