dimanche 14 octobre 2012

L'architecture de la violence au Brésil





Il y a toujours un sort plus terrible que celui du plus misérable des hommes c'est celui de sa femme. Telle est toujours la réalité des favelas du Brésil. Souvent on entend parler du destin de ces jeunes garçons livrés à la rue et au crime. Mais il est rare que les femmes prennent le devant de cette scène, rare que l’on parle de leurs plaies qui sont pourtant béantes. Sur les femmes pèsent à la fois la responsabilité de la famille et souvent sa subsistance. Elles sont les victimes silencieuses d’une violence qui déborde jusque dans le foyer. La violence urbaine au Brésil est une réalité indiscutable, pour tenter d’en limiter les effets le contrôle des espaces est très stricts, il s’agit de délimiter des zones de sécurité et par symétrique d’abandonner des secteurs de la ville à la criminalité. Les policiers y font régner la terreur tout autant que les gangs. Lorsque l’Etat vacille dans ses missions de protection des personnes il livre des millions de personnes à la peur et la souffrance.

L’architecture de la ville au Brésil est typique des pays en voies de développement, un centre d’affaires riche, des banlieues cossues gardées et agréables – et des favelas qui sont des lieux de relégation.  Ce sont les organisations criminelles et les gangs de narcotrafiquants qui régissent les quartiers marginalisés, ils imposent des couvre-feux,  organisent les transports des personnes et mettent en place un système de sanctions pour ce qu’ils considèrent comme un manquement à l’ordre et la discipline qu’ils imposent : en quelque sorte une loi du crime qui vient prendre la place de celle de l’Etat. Le contrôle du territoire est une fabrique de violence, les affrontements entre gangs rivaux mettent la population à la merci des balles et des exécutions. Vivre dans une rue fait qu’il est parfois impossible de franchir un territoire, imposant de longs déplacements pour ne pas être abattu au nom de la logique de répartition géographique des gangs. C’est presque une situation de vassalité : ceux qui habitent les territoires font parties des possessions des gangs. Il y a de plus les interventions violentes de la police, ces dernières sont peu fréquentes mais chaque incursion dans les favelas se solde par des morts dans la population civile. L’armée affectionne ce type de stratégie, des interventions massives et très violentes dans les favelas, la population est affolée et prend parfois le parti des gangs ce qui augmente encore la confusion et produit des batailles rangées. Habiter les quartiers pauvres et violents devenant dans le même temps suspect aux yeux de la majorité des brésiliens, les habitants des favelas subissent d’abord une violence criminelle puis une violence sociale par une mise au banc du travail et de l’honnêteté.

Cette violence dont nous parlons s’exprime par les chiffres : 34 648 victimes par arme à feu en 2006, dont 8 % sont des femmes. Il ne s’agit ici que des morts déclarés, beaucoup disparaissent sans qu’une quelconque plainte soit déposée tant la culture de la violence est maintenant intégrée dans l’univers brésilien, alors que la mortalité violente pour 100 000 habitants est de 3 en Europe elle est de 27 pour 100 000 au Brésil aujourd’hui, soit pour une population de plus de 192 millions un chiffre de près de 50 000 morts en 2009. Mais si l’on se reporte aux seuls favelas il faut enregistrer un taux de 100 pour 100 000, l’on peut considérer que 7% des morts sont liés aux policiers et militaires. Très souvent ces morts ne produisent pas un déploiement de la machine policière et demeure  sans enquête judiciaire. Le « forum des femmes du Pernambuc » tente de faire entendre la voix de ces disparus, elle lutte pour la mémoire et contre les crimes invisibles, ceux que l’Etat ne peut ni ne veut voir. Car 70 % des victimes de ces homicides ont déjà fait de la prison, ils s’inscrivent donc dans un tissu criminel qui fait qu’ils ont été aussi  les agresseurs pour d’autres crimes. Les villes les plus touchées sont Recife, Sao Paulo et Rio Janeiro. Dans une ville comme Sao Paulo la cartographie de  violence épouse les contours de la disparition de l’Etat.  Les quartiers riches approchent d’un taux de criminalité inférieure à la France, dans le même temps les 5 quartiers les plus pauvres en 2008 comptabilisaient 246 morts en une année. Rio
Janeiro, avec ses 752 favelas où s’entasse 25 % de sa population, demeure l’une des agglomérations les moins sûres d’Amérique du Sud. Le seul Etat de Rio enregistrant 6438 crimes, l’homicide devenant la première cause de mortalité pour les hommes entre 15 et 44 ans. C’est la nature de la criminalité qui change par rapport à nos pays : le motif principal du crime de sang demeure le vol qui est systématiquement suivi de meurtre dès la moindre résistance. La vengeance qui remplace la justice est l’autre facteur : l’Etat se fonde sur la volonté de disparition d’une vengeance qui est toujours partiale et  égoïste – lorsque l’Etat faiblit on retrouve ces mécanismes ancestraux reprendre toute leur puissance. En dehors de l’Etat de droit chacun s’arroge le droit de produire ses propres représailles. Les contacts des gangs avec les narcotrafiquants de Colombie sont avérés, les régions rurales sont désormais touchées par ce trafic. En 2006 le Premier commando de la capitale (organisation criminelle implantée dans le milieu carcéral) lance une attaque contre les prisons et diverses cibles policières, 40 policiers sont tués lors de ces assauts. En représailles des « escadrons de la mort » vont exécutés plus de 170 personnes dans les favelas de Sao Paulo. Ce contexte fait que le sentiment d’insécurité atteint au Brésil le taux record de 94 %, chiffre publié dans l’étude menée conjointement par Amnesty International, Oxfam International et le Réseau d’action international sur les armes légères. Cette même étude fait apparaître que 50 % des personnes interrogées ont été victimes d’une agression ou connaissent quelqu’un qui en a été victime au cours des 5 dernières années. La prolifération des armes étant certainement l’une des causes de cette tragédie, 91 % de la population brésilienne déclarant qu’il est trop facile de s’en procurer une, près de 12 millions d’armes sont en circulation au Brésil.
L’élection de Lula avait été saluée comme la victoire du peuple dans un pays où les inégalités sociales étaient criantes, la réduction de la criminalité était inscrite comme une priorité de sa campagne : le bilan est aujourd’hui toujours catastrophique en ce domaine. La criminalité frappe toujours massivement la population la plus pauvre sans un espoir prochain de changement.

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