mardi 4 décembre 2012

Les armes non létales - 1/2

fusil calibre 30 adapté au lancer d'une balle taser

Nous assistons au déploiement de techniques nouvelles de neutralisations dîtes non létales ou à létalité réduite. Il y a désignation de l’arme par ce qu’elle n’est pas : elle ne tue pas, et non par ce qu’elle produit. En un sens c’est une contre définition ou une définition paradoxale puisque l’arme n’est pas définie positivement mais négativement par l’effet qu’elle n’a pas. Simple jeu sémantique ou déplacement du rapport à l’arme dans l’intervention policière ?
détail balle Xrep - les ailettes permettent la stabilité
du projectile pendant le tir
 Ces armes permettent d’abord de gérer les foules puis elles ont été adaptées à la contreviolence individuelle : grenades au poivre,  gaz lacrymogènes,  grenades de désencerclement assourdissantes, armes à micro-ondes échauffant l’épiderme, armes d’annihilation de circuits électroniques… l’arme la plus prisée actuellement est le taser, arme à impulsion électrique ayant un effet incapacitant sur le système moteur central. La définition de ces armes figure dans la Directive 3000.3 « Policy for Non-Léthal Weapons » du département européen de la défense – ce sont des « armes discriminantes qui doivent frapper d’incapacité le personnel et le matériel, tout en minimisant le risque mortel, et les dommages indésirables aux biens et à l’environnement ». Nous comprenons déjà ici que la « non létalité », la « létalité réduite » ou encore la « létalité atténuée » n’est pas une assurance pour un sujet particulier de ne pas mourir. Aussi l’appellation  « armes de neutralisation momentanée » (ANM) semble plus appropriée / elle est utilisée en Suisse et en Belgique francophone. Car il y a ici tout un jeu sémantique pensé pour modifier le rapport à l’arme, en l’inscrivant comme non-létale on désigne l’ANM par ce qu’elle ne fait pas et non par ce qu’elle fait – on déplace la question vers une comparaison avec l’arme à feu, et devant l’évidence d’une réduction des risques on en vient à plébisciter l’arme non létale comme une chance. Cette position peut se comprendre dans le contexte de la criminalité par armes à feu aux Etats Unis mais ne souffre pas le déplacement dans les pays d’Europe occidentale. L’importation de cet armement dans l’arsenal policier se fait très facilement car elle permet un éloignement du policier par rapport à sa cible. C’est le recours à la confrontation physique qui se trouve ainsi écarté ou supprimé. Mais il faut comprendre aussi que le taser modifie d’abord l’appréciation d’une situation : là où on pourrait tenter une médiation par la parole pour éviter ou désamorcer une situation de violence possible, le choix du pointage avec le Taser sera privilégié par l’agent – appuyé en cela par cette double idée que le taser ne fait que neutraliser et qu’il permet à l’agent d’assurer sa propre sécurité. Les ANM introduisent ainsi un point nouveau que nous pourrions qualifier de « continuum de la violence », nous ne sommes plus dans une configuration d’intervention qui irait de la parole à l’utilisation graduée de la violence mais à la menace presque immédiate envers tout individu qui semblerait faire montre d’une quelconque résistance à l’autorité. Cette nouveauté du taser (une dotation  principalement vers les BAC territoriale, régionale, la gendarmerie et vers tous les corps d’élites)  vient modifier la conception de l’intervention  de plusieurs façons :
1)            Les policiers déclarent se sentir « plus respectés » ce qui signifie que la capacité réelle d’infliger une douleur importante entourerait le policier d’un « respect » supérieur, le respect se confondant ici avec d’une part le pouvoir de faire mal et la peur que cela entraîne. Ainsi une publicité de la firme Taser pose « que le taser X26 renverse inéluctablement la tendance actuelle et le policier retrouve la force et l’autorité qu’il avait perdu. En effet la simple présence du Taser à la ceinture en dissuade plus d’un ».
2)            De multiple vidéos de démonstration circulent sur le taser, soit prisent par les forces de l’ordre (démonstrations ou vidéo embarquée), par la compagnie taser ou par le biais des vidéos amateurs sur internet – et toutes montrent l’efficacité de cette arme – il y aurait ici un glissement de l’arme vers son possesseur, une confusion entre les qualités de l’arme et celle du policier qui la détient.
3)      Retour d’expérience :   la seule activation du taser est impressionnante – il y a un bruit électrique de forte intensité, un pointage laser, et une impression très singulière éprouvée par la victime du tir :
« on pense qu’on va mourir sur le coup - C'est assez difficile à exprimer, ça vous mets dans un état, c'est pas une douleur. Moi, j'ai eu l'impression d'avoir…Enfin, que j'étais en train de mourir en fait, j'ai hurlé, j'ai crié au gars : arrête ! Arrête ! Parce que je pensais que j'allais mourir. C'est un état que j'ai jamais ressenti. Pourtant, j'ai joué longtemps au rugby, j'ai fait pendant longtemps des sports de combat, j'ai pris des pets assez importants, voire même une fois une blessure grave au rugby, des beaux cartons et j'ai jamais ressenti un effet comme ça.» L’impression est très particulière et marquante, un policier de la BAC parle métaphoriquement de la sensation de « se vider de sa substance » - de mourir. Dans les prisons américaines ou il est utilisé si les détenus entendent dans les couloirs l’activation d’un taser par une équipe d’intervention  ils se jettent immédiatement au sol les mains sur la tête. Car l’un des effets du taser qui n’est pas sensible dans l’appellation ANM c’est l’effet de soumission qu’il entraîne chez celui qui la subie, un « effet docilité » qui fait de celui qui la possède le maître de la situation.

4)            Cette arme est donc incomparablement plus dangereuse psychologiquement qu’un «choqueur » qui fait éprouver une violente douleur physique (un bond de plus de trois mètres en arrière lorsque l’arc touche la personne) – son effet se doublant de sa particularité « sensationnelle » : ceux qui l’on subit ne parle pas de douleur (nous l’avons dit) ce qui place l’ANM du côté du propre, de médical, de la neutralisation non sadique car débarrassée de la douleur

« Moi,c'est pour neutraliser l'individu et neutraliser l'individu avec un Taser, sous réserve des conséquences médicales, c'est-à-dire d'enquêtes médicales sérieuses, c'est le top. »   cit.


« Je trouve que c'est aujourd'hui l'outil le mieux adapté, peut-être plus qu'une arme à feu parce que ça nous permet d'intervenir à distance en toute sécurité et, a priori, sauf abus, sans risque aussi pour la personne qui est en face et ça c'est quand même important. »   cit.

                Il y aurait une innocuité du taser en même temps que la sensation aigue de la mort. Jusqu’à peu il y avait obligation en France pour pouvoir porter cette arme d’en avoir soi-même subit les effets. Aujourd’hui sa diffusion et sa banalisation dans l’imaginaire du grand public permettent de la porter sans cette phase qui permettait d’éprouver le choc physiologique et psychologique du taser. Notons par ailleurs que cette obligation était ressentie comme non fondée par les policiers qui portent divers matériel sans devoir en subir les effets pour comprendre leur dangerosité potentielle et donc leur responsabilité.

5)            Il y a des usages non recommandés du taser, ce sont les cas où la personne est sous l’influence de stupéfiants, d’alcool, de démence, de troubles cardiaques. Or comment dans l’urgence de l’intervention et la menace d’un individu agressif vérifier l’état médical ou psychologique de l’individu ? De même juger de l’extrémité d’une situation est difficile (peut-on utiliser l’arme dans le cas où la menace se porte sur une personne qui veut se suicider ? Doit-on la neutraliser pour la sauver ? A quel moment ?  Dans les faits cela s’avère impossible c’est-à-dire du seul côté de conjecture et de l’intime conviction du policier, d’une forme de rapport économique entre le risque pour l’équipe et celui pour l’individu menaçant (ou dans l’exemple pris menacé) – gageons que dans cette balance l’usage des taser risque de se généraliser.

6)            Lors des émeutes de novembre 2007 pour la première un usage d’armes à feu  contre les forces de police a été constaté – l’achat des ANM était autorisé jusqu’en juin 2008 et l’usage interdit, désormais l’achat est réservé aux seules forces de police – mais sous peu nous enregistrerons son usage par des délinquants ou des émeutiers.

7)            la généralisation du taser et sa diffusion dans d’autres services que ceux de la Police Nationale peut poser une interrogation sur la formation et la maîtrise technique des personnels, ainsi  un individu qui a reçu un jet de spray asphyxiant en même temps qu’une décharge de taser est entrée en combustion. Ce pose ici la question de l’usage parallèle du taser avec d’autres ANM précisément dans les situations listées au pt 5.

Finalement nous pouvons poser que les technologies doivent s’adapter aux situations et non les situations aux technologies. La « doctrine d’emploi » serait plus fondamentale que la « doctrine capacitaire » qui ne peut seule rendre compte de la situation et de sa nature, l’intelligence situationnelle est indispensable dans l’appréciation de l’usage de l’ANM, le risque étant de ne pas en mesurer assez les conséquences possibles. En un sens on pourrait dire qu’il est paradoxalement plus simple de comprendre ce qu’est une arme létale, elle s’impose immédiatement comme porteuse d’un danger de mort et le policier n’en fait usage qu’en dernière limité avec toujours la crainte de poursuites possibles si tous les critères de son usage ne sont pas respectés. L’ANM se glisse au contraire dans une zone tampon où l’intention n’est jamais destructrice, elle permet une double protection pour son usager – il sait ne pas vouloir tuer, il intervient dans une posture de neutralisation – il sait pouvoir intervenir sans interrogation sur ses intentions et ainsi réagir plus promptement et efficacement.


version police du lanceur 40
version armée














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