fusil calibre 30 adapté au lancer d'une balle taser |
Nous assistons au déploiement de techniques nouvelles de
neutralisations dîtes non létales ou à létalité réduite. Il y a désignation de
l’arme par ce qu’elle n’est pas : elle ne tue pas, et non par ce qu’elle
produit. En un sens c’est une contre définition ou une définition paradoxale
puisque l’arme n’est pas définie positivement mais négativement par l’effet
qu’elle n’a pas. Simple jeu sémantique ou déplacement du rapport à l’arme dans
l’intervention policière ?
détail balle Xrep - les ailettes permettent la stabilité du projectile pendant le tir |
Ces armes permettent
d’abord de gérer les foules puis elles ont été adaptées à la contreviolence
individuelle : grenades au poivre, gaz
lacrymogènes, grenades de
désencerclement assourdissantes, armes à micro-ondes échauffant l’épiderme,
armes d’annihilation de circuits électroniques… l’arme la plus prisée
actuellement est le taser, arme à impulsion électrique ayant un effet
incapacitant sur le système moteur central. La définition de ces armes figure
dans la Directive 3000.3 « Policy for Non-Léthal Weapons » du département
européen de la défense – ce sont des « armes discriminantes qui doivent frapper
d’incapacité le personnel et le matériel, tout en minimisant le risque mortel,
et les dommages indésirables aux biens et à l’environnement ». Nous comprenons
déjà ici que la « non létalité », la « létalité réduite » ou encore la «
létalité atténuée » n’est pas une assurance pour un sujet particulier de ne pas
mourir. Aussi l’appellation « armes de
neutralisation momentanée » (ANM) semble plus appropriée / elle est utilisée en
Suisse et en Belgique francophone. Car il y a ici tout un jeu sémantique pensé
pour modifier le rapport à l’arme, en l’inscrivant comme non-létale on désigne
l’ANM par ce qu’elle ne fait pas et non par ce qu’elle fait – on déplace la
question vers une comparaison avec l’arme à feu, et devant l’évidence d’une
réduction des risques on en vient à plébisciter l’arme non létale comme une
chance. Cette position peut se comprendre dans le contexte de la criminalité
par armes à feu aux Etats Unis mais ne souffre pas le déplacement dans les pays
d’Europe occidentale. L’importation de cet armement dans l’arsenal policier se
fait très facilement car elle permet un éloignement du policier par rapport à
sa cible. C’est le recours à la confrontation physique qui se trouve ainsi
écarté ou supprimé. Mais il faut comprendre aussi que le taser modifie d’abord
l’appréciation d’une situation : là où on pourrait tenter une médiation par la
parole pour éviter ou désamorcer une situation de violence possible, le choix
du pointage avec le Taser sera privilégié par l’agent – appuyé en cela par
cette double idée que le taser ne fait que neutraliser et qu’il permet à
l’agent d’assurer sa propre sécurité. Les ANM introduisent ainsi un point
nouveau que nous pourrions qualifier de « continuum de la violence », nous ne
sommes plus dans une configuration d’intervention qui irait de la parole à
l’utilisation graduée de la violence mais à la menace presque immédiate envers
tout individu qui semblerait faire montre d’une quelconque résistance à
l’autorité. Cette nouveauté du taser (une dotation principalement vers les BAC territoriale,
régionale, la gendarmerie et vers tous les corps d’élites) vient modifier la conception de l’intervention de plusieurs façons :
1) Les
policiers déclarent se sentir « plus respectés » ce qui signifie que la
capacité réelle d’infliger une douleur importante entourerait le policier d’un
« respect » supérieur, le respect se confondant ici avec d’une part le pouvoir
de faire mal et la peur que cela entraîne. Ainsi une publicité de la firme
Taser pose « que le taser X26 renverse inéluctablement la tendance actuelle et
le policier retrouve la force et l’autorité qu’il avait perdu. En effet la
simple présence du Taser à la ceinture en dissuade plus d’un ».
2) De
multiple vidéos de démonstration circulent sur le taser, soit prisent par les
forces de l’ordre (démonstrations ou vidéo embarquée), par la compagnie taser
ou par le biais des vidéos amateurs sur internet – et toutes montrent
l’efficacité de cette arme – il y aurait ici un glissement de l’arme vers son
possesseur, une confusion entre les qualités de l’arme et celle du policier qui
la détient.
3) Retour
d’expérience : la seule activation
du taser est impressionnante – il y a un bruit électrique de forte intensité,
un pointage laser, et une impression très singulière éprouvée par la victime du
tir :
« on pense qu’on va mourir sur le coup - C'est assez
difficile à exprimer, ça vous mets dans un état, c'est pas une douleur. Moi,
j'ai eu l'impression d'avoir…Enfin, que j'étais en train de mourir en fait,
j'ai hurlé, j'ai crié au gars : arrête ! Arrête ! Parce que je pensais que
j'allais mourir. C'est un état que j'ai jamais ressenti. Pourtant, j'ai joué
longtemps au rugby, j'ai fait pendant longtemps des sports de combat, j'ai pris
des pets assez importants, voire même une fois une blessure grave au rugby, des
beaux cartons et j'ai jamais ressenti un effet comme ça.» L’impression est très
particulière et marquante, un policier de la BAC parle métaphoriquement de la
sensation de « se vider de sa substance » - de mourir. Dans les prisons
américaines ou il est utilisé si les détenus entendent dans les couloirs
l’activation d’un taser par une équipe d’intervention ils se jettent immédiatement au sol les mains
sur la tête. Car l’un des effets du taser qui n’est pas sensible dans
l’appellation ANM c’est l’effet de soumission qu’il entraîne chez celui qui la
subie, un « effet docilité » qui fait de celui qui la possède le maître de la
situation.
4) Cette
arme est donc incomparablement plus dangereuse psychologiquement qu’un «choqueur
» qui fait éprouver une violente douleur physique (un bond de plus de trois
mètres en arrière lorsque l’arc touche la personne) – son effet se doublant de
sa particularité « sensationnelle » : ceux qui l’on subit ne parle pas de
douleur (nous l’avons dit) ce qui place l’ANM du côté du propre, de médical, de
la neutralisation non sadique car débarrassée de la douleur
« Moi,c'est pour neutraliser l'individu et neutraliser
l'individu avec un Taser, sous réserve des conséquences médicales, c'est-à-dire
d'enquêtes médicales sérieuses, c'est le top. » cit.
« Je trouve que c'est aujourd'hui l'outil le mieux adapté,
peut-être plus qu'une arme à feu parce que ça nous permet d'intervenir à
distance en toute sécurité et, a priori, sauf abus, sans risque aussi pour la
personne qui est en face et ça c'est quand même important. » cit.
Il y
aurait une innocuité du taser en même temps que la sensation aigue de la mort.
Jusqu’à peu il y avait obligation en France pour pouvoir porter cette arme d’en
avoir soi-même subit les effets. Aujourd’hui sa diffusion et sa banalisation
dans l’imaginaire du grand public permettent de la porter sans cette phase qui
permettait d’éprouver le choc physiologique et psychologique du taser. Notons
par ailleurs que cette obligation était ressentie comme non fondée par les
policiers qui portent divers matériel sans devoir en subir les effets pour
comprendre leur dangerosité potentielle et donc leur responsabilité.
5) Il y a
des usages non recommandés du taser, ce sont les cas où la personne est sous l’influence
de stupéfiants, d’alcool, de démence, de troubles cardiaques. Or comment dans
l’urgence de l’intervention et la menace d’un individu agressif vérifier l’état
médical ou psychologique de l’individu ? De même juger de l’extrémité d’une
situation est difficile (peut-on utiliser l’arme dans le cas où la menace se
porte sur une personne qui veut se suicider ? Doit-on la neutraliser pour la
sauver ? A quel moment ? Dans les
faits cela s’avère impossible c’est-à-dire du seul côté de conjecture et de
l’intime conviction du policier, d’une forme de rapport économique entre le
risque pour l’équipe et celui pour l’individu menaçant (ou dans l’exemple pris
menacé) – gageons que dans cette balance l’usage des taser risque de se
généraliser.
6) Lors des
émeutes de novembre 2007 pour la première un usage d’armes à feu contre les forces de police a été constaté –
l’achat des ANM était autorisé jusqu’en juin 2008 et l’usage interdit,
désormais l’achat est réservé aux seules forces de police – mais sous peu nous
enregistrerons son usage par des délinquants ou des émeutiers.
7) la
généralisation du taser et sa diffusion dans d’autres services que ceux de la
Police Nationale peut poser une interrogation sur la formation et la maîtrise
technique des personnels, ainsi un
individu qui a reçu un jet de spray asphyxiant en même temps qu’une décharge de
taser est entrée en combustion. Ce pose ici la question de l’usage parallèle du
taser avec d’autres ANM précisément dans les situations listées au pt 5.
Finalement nous pouvons poser que les technologies doivent
s’adapter aux situations et non les situations aux technologies. La « doctrine
d’emploi » serait plus fondamentale que la « doctrine capacitaire » qui ne peut
seule rendre compte de la situation et de sa nature, l’intelligence
situationnelle est indispensable dans l’appréciation de l’usage de l’ANM, le
risque étant de ne pas en mesurer assez les conséquences possibles. En un sens
on pourrait dire qu’il est paradoxalement plus simple de comprendre ce qu’est
une arme létale, elle s’impose immédiatement comme porteuse d’un danger de mort
et le policier n’en fait usage qu’en dernière limité avec toujours la crainte
de poursuites possibles si tous les critères de son usage ne sont pas
respectés. L’ANM se glisse au contraire dans une zone tampon où l’intention
n’est jamais destructrice, elle permet une double protection pour son usager –
il sait ne pas vouloir tuer, il intervient dans une posture de neutralisation –
il sait pouvoir intervenir sans interrogation sur ses intentions et ainsi
réagir plus promptement et efficacement.
version police du lanceur 40 |
version armée |
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