vendredi 28 septembre 2012

Réponse à Didier Fassin




Fassin : la force du préjugé.

Qu’un anthropologue s’empare de la police comme d’un objet d’étude semble à la fois nécessaire et normal, que l’institution détentrice de la force expose ses protocoles d’interventions permet de les conforter ou de les modifier. Certainement même la frilosité du ministère de l’Intérieur à accorder des autorisations pour suivre des équipages ou observer des fonctionnements est dommageable à la recherche scientifique et probablement à ses propres progrès. Encore faut-il que cette recherche ne soit pas guidée par des intérêts partisans ou simplement une forme idéologique. Car enfin la réception par le grand public d’un ouvrage qui se présente comme une dénonciation d’un corps de la police, la Brigade Anticriminalité, qui serait guidée dans son travail par la seule recherche de l’adrénaline, la haine des jeunes des banlieues et des étrangers, est un raccourci qui mérite une réponse. L’ouvrage de Fassin débute par une préface qui relate, pas à pas, une « bavure  ordinaire » montrant une police qui se donne des pouvoirs et se dote de l’impunité. Mais quelle surprise à la fin de ce récit d’apprendre que le fils de l’auteur était un de ces jeunes et que l’histoire minutieusement restituée n’était pas saisie par l’œil du sociologue mais par celui de son fils, mélange des genres et confusion des rôles. Ici c’est la méthode utilisée qui pose problème car la suite de l’ouvrage prend cette même forme descriptive, embarquement avec des équipages que l’on suit au fil des pages, mais encore sans un fil sociologique claire, plus proche de collection « d’histoires » que d’un propos anthropologique lié. On surprend l’auteur s’étonné qu’une conférence devant l’ENSP et qu’il intitule « ethnologie d’un équipage de la BAC » puisse choquer le commissaire en charge de la conférence et qu’il faille en modifier le titre. Et plusieurs pages suivent pour justifier le titre de départ et montrer l’étroitesse d’esprit de la hiérarchie policière. De même le recours aux doctrines policières pour expliquer ses critiques (l’expérience de Kansas City par exemple) apparaît comme rapporté, ces doctrines sont présentes dans les ouvrages de Monjardet et Roché depuis très longtemps, sans qu’une référence directe n’apparaisse pourtant au fil de son récit. Il manque des données statistiques stables, nous sommes plongés sans un recul suffisant avec des équipages et il manque une armature critique qui vienne se saisir des récits qui sont ici autant de tranches de vies. On comprend l’emballement médiatique autour de cet ouvrage au regard précisément du manque de publicité dont souffre précisément la police.  On n’écrit pas un livre en commençant par une dénonciation qui a pour sol l’affectif et le familial, de même que la conclusion ne peut précéder l’enquête elle-même. Si les BAC ont aujourd’hui un tel poids dans le cadre de la police urbaine c’est certainement pour des raisons qui tiennent plus aux économies qu’à une politique délibérée, rappelons qu’un équipage de la BAC peut intervenir sur un rayon d’action qui autrement monopoliserait un bien plus grand nombre de fonctionnaires. De fait ils sont souvent le dernier lien avec la continuité républicaine dans certaines Zones Urbaines Sensibles où les forces de l’ordre classiques n’osent plus se déplacer ou intervenir. La lutte contre la petite et moyenne délinquance est une tâche difficile et souvent ingrate, les invectives dont ils sont l’objet, les caillassages, le stress, engagent effectivement des interventions trop souvent « musclés » ou inutilement spectaculaires : mais là encore il faut comprendre aussi les risques des missions ordinaires de ces hommes et l’extrême violence dont ils peuvent  être l’objet. Juger des hommes aux écussons qu’ils portent est certes tentant mais dénote d’une réduction du champ de l’analyse à l’accessoire. Que le journal « Libération » titre sur un écusson montrant une barre d’immeuble dans l’œil d’un viseur ne permet pas de rejeter un corps de profession dans l’indignité. Rien non plus sur les techniques policières qui sont le socle de ces demandes d’identités, rien sur le contrôle de l’émotivité ou sur le schéma d’incongruité qui sont présents dans les équipages de la BAC et qui empêchent de les caricaturer sous la forme du « contrôle au faciès ». Les propos rapportés sont toujours tournés contre les forces de l’ordre, ainsi celui qui énumère les lois qui peuvent appuyer son intervention se voit dépeint comme voulant humilier les jeunes et se servir de la loi à son propre profit. Aussi des erreurs avec ce jeune policier que l’auteur prétend directement sortie de l’école alors que plusieurs années d’exercices sont nécessaires à l’intégration dans une BAC. N’en demeure pas moins des étonnements justifiés et des pratiques policières qu’il faut réévaluer et peut-être modifier. Mais pour parvenir à travailler sereinement sur les doctrines et pratiques policières il faut d’abord se placer dans le cadre précis et restrictif de l’observateur. On peut s’étonner en fin de compte qu’une étude de terrain si longue ne produise qu’un travail dont nous connaissions les références et les conclusions avant sa rédaction.
                               T.N