dimanche 7 octobre 2012

Le contrôle d'identité





 Nous rappelons ici que le contrôle d'identité n'engage pas qu'une détermination hasardeuse ou "malveillante" envers une population cible mais qu'il suppose aussi un "savoir-faire", des modèles, des habitudes et une connaissance du milieu d'évolution des policiers. En ce sens le contrôle le plus efficace est produit par celui ou celle qui connaît parfaitement son "terrain" et peut ainsi déterminer toute conduite d'incongruité.

La détermination, lors d’un contrôle d’identité, de qui doit l’être n’est pas que le fruit du hasard. Il y a aussi une part « d’habitus » policier, d’une expérience qui ne peut pas forcement se formaliser mais qui est présente dans le choix de l’interpellé. Il y aurait un ainsi « un usage professionnel des émotions », autrement dit le policier peut se fier à une sorte de cartographie de la population pour la détermination de ses  « cibles ». Mais  ce ne sont pas ici ses propres émotions que le policier doit écouter mais celle du passant, celle du milieu dans lequel il évolue. Il s’agit de se mettre dans la situation de celui qui soudain se trouve confronté, visiblement, au contrôle d’identité, et qui aurait quelque chose à dissimuler. On peut nommer cette opération « contrôle externe des émotions ». Il faut entendre par « contrôle » une maîtrise active de ce qui meut la conscience d’autrui et qui trouvera de ce fait sa traduction corporelle.

Modélisation des critères de l’interpellation : 
Schéma d'incongruité


Schéma exhaustif d'une situation d'incongruité


Schéma d'émotivité

Croisement des critères pour déterminer qui doit être contrôlé. C’est l’interaction entre une situation et une population qui vient diriger l’interpellation.  Il faut ainsi parvenir à donner à une scène une valeur indicielle, parvenir à décoder des traits de comportements ou émotifs susceptibles de recouvrir une situation irrégulière. Encore faut-il distinguer entre la personne en situation délictueuse et le terroriste. Dans le premier cas l’émotion est peu maîtrisée et le sentiment de panique permet une identification rapide. Le terroriste est pour sa part entraîné au contrôle interne des émotions. Or ce dernier est un objectif bien plus grand que le premier en terme de sécurité publique et d’effets. Son comportement est calqué sur celui que l’on considère comme normal ou adéquat. Mais ici il y a un excès de normalité, c’est-à-dire que les forces de l’ordre sont niés comme présence et menace. C’est la conduite de désinvolture ou de toisement. Le terroriste mime l’affairement pressé et ne porte pas le regard vers les agents. C’est ici la « normalité » qui devient suspecte. Car devant les forces de sécurité tout citoyen se sent moins assuré, il y a un mouvement qui est d’abord du côté de l’inquiétude de la conscience qui se traduit par une certain trouble. Parfois aussi  un sentiment de curiosité, de badaud, face à une situation qui sort l’individu de son ordinaire. De même nous retenons comme indice un trait paradoxal du comportement du terroriste, plus précisément du « kamikaze », c’est d’être très proche, au moment du passage à l’acte, d’un instant d’hésitation, d’un basculement possible, d’une demande d’écoute, d’une exigence de reconnaissance. C’est ce moment qu’il faut saisir pour intervenir. Au-delà de ce terme la détermination reprend le dessus et le terroriste va au bout de son engagement meurtrier . Il faut chercher une faille dans le système d’adhésion du terroriste qui est très puissant, proche comparativement avec l’adhésion sectaire.
Nous sommes ici dans le registre de l’observation – le travail du policier étant ici de déceler derrière la surface tranquille des apparences, le trouble possible. Il faut parvenir à identifier les émotions de façon à pouvoir déjouer la criminalité. L’uniforme peut être un obstacle de part sa visibilité. L’individu en situation délictueuse ou criminelle préférant éviter les endroits où celui-ci est visible. Mais ceci peut devenir un avantage dans le cas du contrôle externe de l’émotion. La vue des agents engage un malaise, car elle n’est pas reportée à la généralité du contrôle mais à son cas propre, ainsi l’individu se sent visé par le contrôle. Il faut désormais repérer les émotions déclenchées par l’uniforme.  C’est ici l’émotion qui est le marqueur du comportement suspect : angoisse, peur, anxiété, nervosité, gène excessive, mais aussi modification brusque d’attitude ou de comportement : un regard qui se détourne, qui trahit une émotion forte, une hésitation dans la marche, dans la direction à prendre.
Mais il ne faut pas en conclure que cette recherche de « l’incongruité » est basée sur une analyse de psychologie interne de la personne. Il s’agit plutôt d’une analyse d’une situation comportementale globale, par la pratique dans le travail journalier de ce qu’est une circulation normale dans tel ou tel endroit ou milieu. Il faut une connaissance de la typologie sociale des lieux, une compréhension géographique de la circulation et la perception d’un élément incongru dans cette situation particulière. C’est le contexte qui laisse entendre une dissonance, le regard, les flux, les démarches, les allures, les comportements… Il y a ici tout un travail sur la sécurité et sur l’aspect normal des choses et des gens, le territoire surveillé doit dans ce cas être compris par un travail en profondeur, c’est la répétition qui est déterminante dans la pratique du contrôle des émotions. C’est l’expérience qui permet de découvrir l’indice d’un trouble. La rupture n’est pas le fait d’un individu par rapport au groupe, mais c’est l’observation du groupe qui fait apparaître le comportement anormal. La recherche de la conduite d’incongruité suppose une présence pas nécessairement démonstrative, légèrement en retrait, il s’agit d’une gestion des flux de circulation – certains ne voient pas les policiers, d’autres les voient, d’autres les voient et montrent aux policiers qu’ils les ont vu. Cette dernière catégorie est l’objet d’une interpellation. Toute modification de l’allure, du regard, de la direction sont des indices appelant un contrôle. Et ce contrôle est commun, il est le résultat d’une pratique  et d’un savoir partagés. Ces contrôles n’ont pas besoin d’un échange de paroles, c’est après seulement que le groupe échangera verbalement les impressions, les hésitations, les certitudes. Il s’agit par cette pratique de rendre la chose vue objective : qui a vu, qu’est-ce qui a été vu ? Il y a construction d’un savoir positif à partir de la lecture des émotions. Cette méthode permet, en outre, de fournir une base commune à la décision d’interpellation. Elle permet d’éviter une interpellation arbitraire, fondée sur les seuls critères sociaux ou ethniques, en même temps qu’elle soude une profession autour d’un usage commun d’une grille des émotions.
Ceci est vrai pour les patrouilles de la sécurité publique, pour les policiers qui œuvres sur un territoire particulier. Pour une police qui travaille sur un profit, qui recherche un type de comportement particulier, il y a obligation de rentrer dans une psychologie des profondeurs. Le terroriste est en effet en mesure d’abuser l’émotivité par son contrôle. Il faut dans ce cas posséder des informations psychologiques et historiographiques sur le type de délinquant recherché.

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