Nous rappelons ici que le contrôle d'identité n'engage pas qu'une détermination hasardeuse ou "malveillante" envers une population cible mais qu'il suppose aussi un "savoir-faire", des modèles, des habitudes et une connaissance du milieu d'évolution des policiers. En ce sens le contrôle le plus efficace est produit par celui ou celle qui connaît parfaitement son "terrain" et peut ainsi déterminer toute conduite d'incongruité.
La
détermination, lors d’un contrôle d’identité, de qui doit l’être n’est pas que
le fruit du hasard. Il y a aussi une part « d’habitus » policier,
d’une expérience qui ne peut pas forcement se formaliser mais qui est présente
dans le choix de l’interpellé. Il y aurait un ainsi « un usage
professionnel des émotions », autrement dit le policier peut se fier à une
sorte de cartographie de la population pour la détermination de ses « cibles ». Mais ce ne sont pas ici ses propres émotions que le
policier doit écouter mais celle du passant, celle du milieu dans lequel il
évolue. Il s’agit de se mettre dans la situation de celui qui soudain se trouve
confronté, visiblement, au contrôle d’identité, et qui aurait quelque chose
à dissimuler. On peut nommer cette opération « contrôle externe des
émotions ». Il faut entendre par « contrôle » une maîtrise
active de ce qui meut la conscience d’autrui et qui trouvera de ce fait sa
traduction corporelle.
Modélisation des
critères de l’interpellation :
Schéma d'incongruité |
Schéma exhaustif d'une situation d'incongruité |
Schéma d'émotivité |
Croisement des critères pour déterminer qui doit être contrôlé. C’est l’interaction entre une situation et une population qui vient diriger l’interpellation. Il faut ainsi parvenir à donner à une scène une valeur indicielle, parvenir à décoder des traits de comportements ou émotifs susceptibles de recouvrir une situation irrégulière. Encore faut-il distinguer entre la personne en situation délictueuse et le terroriste. Dans le premier cas l’émotion est peu maîtrisée et le sentiment de panique permet une identification rapide. Le terroriste est pour sa part entraîné au contrôle interne des émotions. Or ce dernier est un objectif bien plus grand que le premier en terme de sécurité publique et d’effets. Son comportement est calqué sur celui que l’on considère comme normal ou adéquat. Mais ici il y a un excès de normalité, c’est-à-dire que les forces de l’ordre sont niés comme présence et menace. C’est la conduite de désinvolture ou de toisement. Le terroriste mime l’affairement pressé et ne porte pas le regard vers les agents. C’est ici la « normalité » qui devient suspecte. Car devant les forces de sécurité tout citoyen se sent moins assuré, il y a un mouvement qui est d’abord du côté de l’inquiétude de la conscience qui se traduit par une certain trouble. Parfois aussi un sentiment de curiosité, de badaud, face à une situation qui sort l’individu de son ordinaire. De même nous retenons comme indice un trait paradoxal du comportement du terroriste, plus précisément du « kamikaze », c’est d’être très proche, au moment du passage à l’acte, d’un instant d’hésitation, d’un basculement possible, d’une demande d’écoute, d’une exigence de reconnaissance. C’est ce moment qu’il faut saisir pour intervenir. Au-delà de ce terme la détermination reprend le dessus et le terroriste va au bout de son engagement meurtrier . Il faut chercher une faille dans le système d’adhésion du terroriste qui est très puissant, proche comparativement avec l’adhésion sectaire.
Nous
sommes ici dans le registre de l’observation – le travail du policier étant ici
de déceler derrière la surface tranquille des apparences, le trouble possible.
Il faut parvenir à identifier les émotions de façon à pouvoir déjouer la
criminalité. L’uniforme
peut être un obstacle de part sa visibilité. L’individu
en situation délictueuse ou criminelle préférant éviter les endroits où
celui-ci est visible. Mais ceci peut devenir un avantage dans le cas du
contrôle externe de l’émotion. La vue des agents engage un malaise, car elle
n’est pas reportée à la généralité du contrôle mais à son cas propre, ainsi
l’individu se sent visé par le contrôle. Il faut désormais repérer les émotions
déclenchées par l’uniforme. C’est ici
l’émotion qui est le marqueur du comportement suspect : angoisse, peur,
anxiété, nervosité, gène excessive, mais aussi modification brusque d’attitude
ou de comportement : un regard qui se détourne, qui trahit une émotion
forte, une hésitation dans la marche, dans la direction à prendre.
Mais
il ne faut pas en conclure que cette recherche de « l’incongruité »
est basée sur une analyse de psychologie interne de la personne. Il s’agit
plutôt d’une analyse d’une situation comportementale globale, par la pratique
dans le travail journalier de ce qu’est une circulation normale dans tel ou tel
endroit ou milieu. Il faut une connaissance de la typologie sociale des lieux,
une compréhension géographique de la circulation et la perception d’un élément
incongru dans cette situation particulière. C’est le contexte qui laisse
entendre une dissonance, le regard, les flux, les démarches, les allures, les
comportements… Il y a ici tout un travail sur la sécurité et sur l’aspect
normal des choses et des gens, le territoire surveillé doit dans ce cas être
compris par un travail en profondeur, c’est la répétition qui est déterminante
dans la pratique du contrôle des émotions. C’est l’expérience qui permet de
découvrir l’indice d’un trouble. La rupture n’est pas le fait d’un individu par
rapport au groupe, mais c’est l’observation du groupe qui fait apparaître le
comportement anormal. La recherche de la conduite d’incongruité suppose une
présence pas nécessairement démonstrative, légèrement en retrait, il s’agit
d’une gestion des flux de circulation – certains ne voient pas les policiers,
d’autres les voient, d’autres les voient et montrent aux policiers qu’ils les
ont vu. Cette dernière catégorie est l’objet d’une interpellation. Toute
modification de l’allure, du regard, de la direction sont des indices appelant
un contrôle. Et ce contrôle est commun, il est le résultat d’une pratique et d’un savoir partagés. Ces contrôles n’ont
pas besoin d’un échange de paroles, c’est après seulement que le groupe
échangera verbalement les impressions, les hésitations, les certitudes. Il
s’agit par cette pratique de rendre la chose vue objective : qui a vu,
qu’est-ce qui a été vu ? Il y a construction d’un savoir positif à partir
de la lecture des émotions. Cette méthode permet, en outre, de fournir une base
commune à la décision d’interpellation. Elle permet d’éviter une interpellation
arbitraire, fondée sur les seuls critères sociaux ou ethniques, en même temps
qu’elle soude une profession autour d’un usage commun d’une grille des
émotions.
Ceci
est vrai pour les patrouilles de la sécurité publique, pour les policiers qui
œuvres sur un territoire particulier. Pour une police qui travaille sur un
profit, qui recherche un type de comportement particulier, il y a obligation de
rentrer dans une psychologie des profondeurs. Le terroriste est en effet en
mesure d’abuser l’émotivité par son contrôle. Il faut dans ce cas posséder des
informations psychologiques et historiographiques sur le type de délinquant
recherché.
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