lundi 29 octobre 2012

La violence scolaire : le CAAEE / la tolérance zéro 2/2



L’exemple du Centre Académique d’Aide aux Ecoles et aux Etablissements (CAAEE) :

La vidéosurveillance est évoquée comme un moyen de lutte alors même que l’on connaît aujourd’hui ses limites et défauts 26 , la question des moyens technique de la lutte contre les violences demeure pourtant fondamentale. La mise en place d’audits de sécurité dans les établissements, de portails sécurisés, de portiques de détection d’armes… tout ceci porte trop souvent à décentrer le débat vers une solution d’abord technique alors qu’elle est avant tout humaine. Ni technophilie ni technophobie, les instruments de la surveillance et la protection passive des locaux ne sauraient être négligées en même temps qu’une réponse seulement technique serait incomplète. La création du CAAEE répond à une demande institutionnelle académique, permettre de traiter les formes de violences dans les établissements scolaires en instituant un dialogue entre les parties afin de rétablir l’autorité du chef d’établissement. La mise en place initiale des Equipes Mobiles de Sécurité était présentée en grande partie sur l’aspect sécuritaire, protection de l’établissement, sanctuarisation. La difficulté étant sur le terrain de parvenir à lier le cadre mobile des équipes avec l’impératif du temps réel des violences, l’intervention en temps de crise suppose toujours un décalage par rapport à la demande. Très vite le CAAEE s’est dirigé vers des missions préventives et non réactives. Une forme de déplacement sur d’autres champs de compétences que ceux d’abord initiés, et qui recouvraient justement l’expertise  que le CAAEE développait depuis 10 ans. Le CAAEE a intégré dans son champ de compétence la sécurisation, les missions de sécurité sont quotidiennes. L’appui peut-être compris aussi comme vie scolaire, encadrement et sécurisation (filtrage des entrées) avec des pouvoirs qui restent Education nationale. Le problème essentiel demeure celui du recrutement, avec peu des personnels qui proviennent du ministère de l’Intérieur dans l’Ile de France. Cela se trouve lié à la faiblesse de la rémunération – ils sont recrutés sous la rubrique contractuels. La nature du contrat pose ici problème car il n’engage pas un statut pérenne (6 ans maximum). Se pose aussi le problème de la gestion des équipes lorsque leur présence n’est pas utile sur le terrain.  Le choix stratégique du CAAEE a été sous l’impulsion de Luc Pham 27 , son actuel directeur, de confondre les moyens, toute personne du CAAEE appartient de facto aux EMS avec une mutualisation possible des forces entre les départementaux si une situation de crise l’exige. Les équipes sont coordonnées par une personne qui est l’interface privilégié aussi bien sur la réponse pédagogique que l’aspect sécurisation. Luc Pham note des évolutions « nous allons avoir des personnels anciennement du ministère de l’Intérieur avec une compétence en diagnostic de sécurité qui jusqu’aujourd’hui était une compétence spécifique de la police ou de la gendarmerie. Il y a ici une vraie intersection de compétences, ils seront porteur d’une compétence du ministère de l’Intérieur et l’exerceront dans le cadre d’un emploi dans l’Education nationale ». Pour ce qui concerne les habilitations de fouilles ou encore d’interpellations les résistances syndicales des personnels de direction demeurent trop grandes pour que cette ouverture se produise. En fait la mission de sanctuarisation a produit « une vraie avancée », que des personnels du ministère de l’Intérieur (principalement des Adjoints de Sécurité) puissent intégrer des équipes de l’éducation Nationale correspond à un progrès important, la diversité des missions étant probablement l’explication de ce succès ». Le véritable défi était dans la modification des représentations tant dans les équipes anciennes du CAAEE que dans les établissements scolaires. « L’avancée c’est de dire que la pédagogie n’est pas exclusive de la sécurité et inversement ». Le détachement d’un officier de police  pour piloter les EMS et être le conseiller sécurité du recteur était indispensable », son champ de compétence balayant à la fois le questionnement sur la maltraitance, la violence des jeunes qu’ils en soient auteurs ou victimes, l’interrogatoire et la difficulté de se souvenir d’une agression, aussi sa reconnaissance institutionnelle et hiérarchique indispensable dans le rapport avec la police ». C’est aussi pouvoir dire à un commissaire dont les hommes se sont retrouvés cernés dans la cour d’un établissement scolaire qu’ils se sont mis techniquement dans une situation délicate et être entendu. Le CAAEE a pris la forme structurelle du terrain éducatif et de l’autonomie des établissements, au premier janvier 2012 un directeur académique des services de l’éducation nationale remplacera les directeurs départementaux, « désormais plus d’un côté le rectorat et de l’autre l’inspection, les services académique sont sur tout le territoire et se confondent, je voulais que nous soyons déjà dans cette approche ». L’impossibilité d’une homogénéisation sur le plan national favorisant une prise ne charge autonome par académie du traitement des violences, l’idée étant de produire un diagnostic par territoire et d’apporter des réponses avec les moyens existants. Se rapprocher toujours plus du terrain donc avec l’exigence pragmatique d’apporter une aide concrète aux établissements, aller dans le sens de l’autonomie des académies comme de l’autonomie des établissements (OPLE). Le CAAEE a inspiré la mise ne place des EMS sur l’académie de Paris, l’Inspecteur d’Académie qui en a pris la direction était auparavant en charge des Hauts de Seine. L’académie de Créteil au contraire cloisonne en distinguant équipe pédagogique et équipe de sécurité, « la cartographie sensible de ce département tire bénéfice de ce découpage car il y a des tensions extrêmes en certains endroits ».

La tolérance zéro :
Campagne américaine pour le port d'armes
Trop souvent s’oppose frontalement deux conceptions de la sécurité, l’une préconisant répression et intransigeance et l’autre pédagogique qui nie les phénomènes de violence scolaire dans leurs dimensions délinquante. C’est ce clivage qu’il faut résoudre ou dépasser. Lors d’un entretien Russel Skiba (professeur à l’Université de l’Indiana aux Etats-Unis, spécialiste de la psychologie de l’éducation) intervenant lors des « états généraux de la sécurité à  l‘école » affirme l’échec de la tolérance zéro aux Etats-Unis. Il adopte une définition uniquement répressive  « toute perturbation même la plus mineure, doit être sévèrement punie afin de dissuader les fauteurs de troubles » 28 , on peut ici s’étonner d’une telle définition qui reprend une vision étroite de la tolérance zéro. L’échec de la politique sécuritaire dans les établissements scolaires aux Etats-Unis, comme en beaucoup d’autres endroits,  s’explique plutôt par les coupes budgétaires qui comme au Texas atteignent aujourd’hui « 4,5 milliards de dollars, plus d’un huitième du budget  (…) Avant de licencier les professeurs, les écoles ont mis à pied les assistants d’éducation ainsi que les gardiens de sécurité. Le ménage n’est plus fait qu’un jour sur deux. » 29 . Ce n’est pas l’application de la tolérance zéro qui est un échec mais son abandon par manque des moyens afférents. Car la politique de tolérance zéro aux Etats-Unis est fondée non sur un appareil répressif offensif mais d’abord sur un maillage du tissu social qui doit permettre d’empêcher le délit de se produire et autrement engager une réparation immédiate grâce à l’intervention de tous les acteurs de la vie sociale s’il se produit. On peut définir la tolérance zéro par sa capillarité, elle vient saisir tout ce qui est à proximité pour trouver une solution. Bien sûr la difficulté s’accroit dans le cadre d’un établissement scolaire où les élèves ne peuvent être intégrer que d’une façon partielle au contrôle des espaces et des comportements. Il y a un effet d’adhésion de groupe à des phénomènes d’incivilités qui sont aussi du côté d’une forme de rite odalistique qui suppose le défi à la loi et à l’autorité pour se construire et s’identifier. Le groupe de pairs est ici prégnant, il faut donc mettre en place une tolérance zéro qui tienne compte de ce paramètre. Par exemple l’exclusion n’est pas la solution de la tolérance zéro puisque son but est en même temps de contrôler espace scolaire et espace urbain. Il faut « exclure en dedans » c’est-à-dire demander à l’élève fautif d’être présent dans l’établissement avec un accompagnement personnalisé ou dans le cas des comportements violents exclure vers des associations qui prennent en charge le jeune avec des objectifs tant pédagogiques que correctifs. De même les établissements placés dans des cadres ruraux pour les élèves les plus rétifs et multirécidivistes. L’exclusion pendant longtemps a été l’arme principale de l’éducation nationale, c’est ainsi qu’un article du Monde daté du mercredi 7 avril 2010 30 titrait « l’exclusion, principale réponse à la violence scolaire », cette article renvoyant à une étude de Georges Fotinos, inspecteur général horaire, qui démontre que « 17000 jeunes sont définitivement exclus chaque année de leur établissement à l’issue d’un conseil de discipline et plus de 367000 pour un ou plusieurs jours ». Mais il faut ajouter que l’exclusion suppose en dessous de 16 ans une rescolarisation dans un autre établissement, d’où cet effet « patate-chaude » où les établissements excluant prennent en contrepartie des exclus d’ailleurs. Cette même étude montrant que la cartographie de l’exclusion recoupe celle des Zones Urbaines Sensibles. Georges Fotinos  fait alors ce constat que « les jeunes des milieux populaires sont trois fois plus souvent victimes d’exclusions définitives que leurs camarades des classes favorisées », on ne peut que valider le constat mais s’étonner de la déploration : il y a une logique de la violence qui recoupe dans les grandes lignes la délinquance des ZUS, seule doit être extraite de cette analyse le harcèlement qui recoupe d’autres facteurs et le trafic de stupéfiant qui épouse plutôt la géographie des zones privilégiées. Il y a une forme de permanence du nombre de faits graves sur plusieurs années en même temps qu’un pourcentage faible au regard de la totalité des actes. Mais il ne faut pas oublier que si les faits sont proportionnellement limités ils engagent des traumatismes lourds et on le coût même d’une perturbation durable de l’environnement géographique et psychologique des établissements concernés. La première victime de la violence étant dans bien des cas l’auteur lui-même, celui-ci répondant parfois à une violence institutionnelle (celle de la sélection scolaire et de son corolaire l’exclusion), très longtemps le discours c’est donc centré sur des formes de culpabilité pédagogiques et politiques qui empêchaient une confrontation directe au fait d’incivilité ou au délit. Il faudrait aujourd'hui poser le constat que la première des causes de l'incivilité c'est le sujet qui la produit, de même que le délit à pour origine celui qui le commet et de même pour le crime : cela n'exclut pas des circonstances dont il appartiendra aux adultes ou aux juges de de prendre en compte. C’est aussi le constat posé par Alain Bauer 31 que le harcelé a des risques de devenir bourreau, le harcèlement jouant un rôle décisif dans la décision du passage à l’acte meurtrier. Il se réfère à une étude du FBI qui montre que 75% des « school shooters » avaient été victimes de maltraitance entre élèves. Concluant que le premier facteur conduisant à se munir d’une arme est la peur. Assurons la sécurité pour limiter ses effets.


 Conclusion :
La politique nationale se heurte donc à la réalité de terrain en même temps qu’aux résistances corporatistes, humaines sans parler des réductions budgétaires. La mise en place de la sanctuarisation n’a pas été ce qu’elle promettait d’être, la tolérance zéro s’applique au gré des volontés et des politiques ce qui est en même temps un signe de vitalité et d’initiative comme en témoigne le CAAEE. Demeure un sentiment d’inachèvement et la certitude qu’une réforme doit d’abord être celle des mentalités et des représentations. En grande partie la construction de l’identité de l’adulte se forge à l’école, c’est là qu’il apprend  les postures symboliques et  culturelles, les codes et les manières d’êtres. Lorsque l’école est malade c’est tout le corps social qui tremble. La sécurité à l’école est en ce sens la condition d’une construction d’un espace social apaisé. La sanctuarisation suppose que l’on protège l’école du monde extérieur, que la question de la sécurité n’apparaisse pas pour l’enfant mais soit au contraire un mur contre lequel s’écrase les problèmes sociaux, les violences, les inégalités. Il ne s’agit pas de laisser l’enfant en dehors du monde mais de poser au contraire qu’il y a un entrelacement entre éducation et gestion des violences c’est-à-dire entre liberté et sécurité. L’écriture d’un « livre blanc sur l’école » permettrait de produire une révolution identique à celle du livre blanc sur la sécurité 32 qui a fait disparaître la ligne de séparation entre sécurité et défense nationale, allant jusqu’à faire dépendre la seconde de la première.  En 1982 un rapport d’un inspecteur général dénonçait « les prophètes et les marchands dans l’éducation nationale » 33 , l’école n’est ni un laboratoire d’essai ni un marché. La construction de la sécurité scolaire doit s’édifier à partir de ce constat. 

 

Conférence de Thierry Novarese  produite dans le cadre du Colloque International d’Arras, Violences à l’école : normes et professionnalités en questions »,  les 14 et 15 décembre 2011 à l’Université d’Artois. Titre de la communication : « La sanctuarisation des établissements scolaires, état des lieux ».
                                                            

26 (Novarese, 2008) et (Courtois, Gautier, 2008)
27 Entretien avec Luc Pham, IA-IPR VS, octobre 2011. 
28 (Fotinos, 2010). 
29 (Skiba, 2011).
31 (Bauer, 2010)
32 Livre Blanc, 2008).
33 (Dieuzeide, 1982).

Bibliographie : 
Bauer, Alain, mars 2010, Mission sur les violences en milieu scolaire, les sanctions et la place de la famille, rapport remis au ministre de l’Education Nationale, p.10, URL : http://media.education.gouv.fr/file/Mediatheque/11/9/Rapport-Bauer-mission-violences-scolaires_142119.pdf
Carra Cécile, Violences à l’école élémentaire. Les difficultés de construction d’un ordre scolaire, Questions pénales CESDIP UMR 8183, octobre 2009, URL : www.cesdip.fr.
Courtois, Jean-Patrick et Gautier Charles, juillet 2008, La vidéo-protection, conditions d’efficacité et critères d’évaluation, Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité, Saint-Denis pour le rapport au Sénat du 10 décembre 2008, URL : http://www.senat.fr/rap/r08-131/r08-131_mono.html
Debardieux, Eric, 3 avril 2010, Pas de schémas simplistes pour aborder un phénomène complexe, journal Le Monde, p.12.
Debardieux, Eric, 6 avril 2010, Des états généraux pour des réponses à long terme,  journal Le Figaro, p.6. 
Dieuzeide Henri, du 9 au 11 novembre 1982, Marchands et prophètes en technologie de l’éducation in Actes du colloque : Les formes médiatisées de la communication éducative, Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, p.77.
Fotinos, Georges, 7 avril 2010, L’exclusion, principale réponse à la violence scolaire, journal Libération, p.12.
Hugo, Victor (1862), Les Misérables  (1993), Paris, Garnier.
Livre Blanc, juin 2008, Défense et Sécurité nationale : Le Livre Blanc, préface de Nicolas Sarkozy, Président de la République, Tome 1 et 2, éditions Odile Jacob, la documentation française, Paris.
Ministère de l’Education Nationale, (2011), direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, URL : http://media.education.gouv.fr/file/2011/48/6/DEPP-NI-2011-13-actes-violence-etablissements-publics-second-degre-2010-2011_197486.pdf
Noudelmann François et  Aeschimann  Eric (2009) blog du journal Libération, URL : http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/2009/06/sanctuariser-une-expression-diss%C3%A9qu%C3%A9e.html
Novarese, Thierry, Révolution managériale au NYPD, demain la France ?, Université Nancy 2 et l’Université de Pise, les 25 et 26 juin 2009 à Nancy, URL : http://gree.univ-nancy2.fr/digitalAssets/50983_NYPD_-_novarese.pdf
 Novarese Thierry,  L’intervention policière sous vidéo, sécurité, contrôle et libertés, La Société Terminale, colloque organisé conjointement par l’Université Marc Bloch (Strasbourg), le laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (UMR 7043) et le Centre National de la Recherche Scientifique, vendredi 14 novembre 2008. 
Ogien Albert, 1999, Sociologie de la déviance, Paris, Armand Colin. 
Perron, Denis, 7 avril 2010, comment les « psys » analysent la violence scolaire, journal La Croix, p.10. Salas, Denis (2010) La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Paris, Fayard-Pluriel.
 Skiba Russel, L’éducation mise en coupe réglée, supplément « Géo&politique » au journal Le Monde du dimanche 23 et lundi 24 octobre 2011, p.5.
 Winnicott, Donald Woods (1971), Jeu et réalité : l’espace potentiel, Paris, Gallimard. 

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