La
vidéosurveillance est évoquée comme un moyen de lutte alors même que
l’on connaît aujourd’hui ses limites et défauts 26 , la question des
moyens technique de la lutte contre les violences demeure pourtant
fondamentale. La mise en place d’audits de sécurité dans les
établissements, de portails sécurisés, de portiques de détection
d’armes… tout ceci porte trop souvent à décentrer le débat vers une
solution d’abord technique alors qu’elle est avant tout humaine. Ni
technophilie ni technophobie, les instruments de la surveillance et la
protection passive des locaux ne sauraient être négligées en même temps
qu’une réponse seulement technique serait incomplète. La création du
CAAEE répond à une demande institutionnelle académique, permettre de
traiter les formes de violences dans les établissements scolaires en
instituant un dialogue entre les parties afin de rétablir l’autorité du
chef d’établissement. La mise en place initiale des Equipes Mobiles de
Sécurité était présentée en grande partie sur l’aspect sécuritaire,
protection de l’établissement, sanctuarisation. La difficulté étant sur
le terrain de parvenir à lier le cadre mobile des équipes avec
l’impératif du temps réel des violences, l’intervention en temps de
crise suppose toujours un décalage par rapport à la demande. Très vite
le CAAEE s’est dirigé vers des missions préventives et non réactives.
Une forme de déplacement sur d’autres champs de compétences que ceux
d’abord initiés, et qui recouvraient justement l’expertise que le CAAEE
développait depuis 10 ans. Le CAAEE a intégré dans son champ de
compétence la sécurisation, les missions de sécurité sont quotidiennes.
L’appui peut-être compris aussi comme vie scolaire, encadrement et
sécurisation (filtrage des entrées) avec des pouvoirs qui restent
Education nationale. Le problème essentiel demeure celui du recrutement,
avec peu des personnels qui proviennent du ministère de l’Intérieur
dans l’Ile de France. Cela se trouve lié à la faiblesse de la
rémunération – ils sont recrutés sous la rubrique contractuels. La
nature du contrat pose ici problème car il n’engage pas un statut
pérenne (6 ans maximum). Se pose aussi le problème de la gestion des
équipes lorsque leur présence n’est pas utile sur le terrain. Le choix
stratégique du CAAEE a été sous l’impulsion de Luc Pham 27 , son actuel
directeur, de confondre les moyens, toute personne du CAAEE appartient
de facto aux EMS avec une mutualisation possible des forces entre les
départementaux si une situation de crise l’exige. Les équipes sont
coordonnées par une personne qui est l’interface privilégié aussi bien
sur la réponse pédagogique que l’aspect sécurisation. Luc Pham note des
évolutions « nous allons avoir des personnels anciennement du ministère
de l’Intérieur avec une compétence en diagnostic de sécurité qui
jusqu’aujourd’hui était une compétence spécifique de la police ou de la
gendarmerie. Il y a ici une vraie intersection de compétences, ils
seront porteur d’une compétence du ministère de l’Intérieur et
l’exerceront dans le cadre d’un emploi dans l’Education nationale ».
Pour ce qui concerne les habilitations de fouilles ou encore
d’interpellations les résistances syndicales des personnels de direction
demeurent trop grandes pour que cette ouverture se produise. En fait la
mission de sanctuarisation a produit « une vraie avancée », que des
personnels du ministère de l’Intérieur (principalement des Adjoints de
Sécurité) puissent intégrer des équipes de l’éducation Nationale
correspond à un progrès important, la diversité des missions étant
probablement l’explication de ce succès ». Le véritable défi était dans
la modification des représentations tant dans les équipes anciennes du
CAAEE que dans les établissements scolaires. « L’avancée c’est de dire
que la pédagogie n’est pas exclusive de la sécurité et inversement ». Le
détachement d’un officier de police pour piloter les EMS et être le
conseiller sécurité du recteur était indispensable », son champ de
compétence balayant à la fois le questionnement sur la maltraitance, la
violence des jeunes qu’ils en soient auteurs ou victimes,
l’interrogatoire et la difficulté de se souvenir d’une agression, aussi
sa reconnaissance institutionnelle et hiérarchique indispensable dans le
rapport avec la police ». C’est aussi pouvoir dire à un commissaire
dont les hommes se sont retrouvés cernés dans la cour d’un établissement
scolaire qu’ils se sont mis techniquement dans une situation délicate
et être entendu. Le CAAEE a pris la forme structurelle du terrain
éducatif et de l’autonomie des établissements, au premier janvier 2012
un directeur académique des services de l’éducation nationale remplacera
les directeurs départementaux, « désormais plus d’un côté le rectorat
et de l’autre l’inspection, les services académique sont sur tout le
territoire et se confondent, je voulais que nous soyons déjà dans cette
approche ». L’impossibilité d’une homogénéisation sur le plan national
favorisant une prise ne charge autonome par académie du traitement des
violences, l’idée étant de produire un diagnostic par territoire et
d’apporter des réponses avec les moyens existants. Se rapprocher
toujours plus du terrain donc avec l’exigence pragmatique d’apporter une
aide concrète aux établissements, aller dans le sens de l’autonomie des
académies comme de l’autonomie des établissements (OPLE). Le CAAEE a
inspiré la mise ne place des EMS sur l’académie de Paris, l’Inspecteur
d’Académie qui en a pris la direction était auparavant en charge des
Hauts de Seine. L’académie de Créteil au contraire cloisonne en
distinguant équipe pédagogique et équipe de sécurité, « la cartographie
sensible de ce département tire bénéfice de ce découpage car il y a des
tensions extrêmes en certains endroits ».
Campagne américaine pour le port d'armes |
Conclusion :
La
politique nationale se heurte donc à la réalité de terrain en même temps
qu’aux résistances corporatistes, humaines sans parler des réductions
budgétaires. La mise en place de la sanctuarisation n’a pas été ce
qu’elle promettait d’être, la tolérance zéro s’applique au gré des
volontés et des politiques ce qui est en même temps un signe de vitalité
et d’initiative comme en témoigne le CAAEE. Demeure un sentiment
d’inachèvement et la certitude qu’une réforme doit d’abord être celle
des mentalités et des représentations. En grande partie la construction
de l’identité de l’adulte se forge à l’école, c’est là qu’il apprend
les postures symboliques et culturelles, les codes et les manières
d’êtres. Lorsque l’école est malade c’est tout le corps social qui
tremble. La sécurité à l’école est en ce sens la condition d’une
construction d’un espace social apaisé. La sanctuarisation suppose que
l’on protège l’école du monde extérieur, que la question de la sécurité
n’apparaisse pas pour l’enfant mais soit au contraire un mur contre
lequel s’écrase les problèmes sociaux, les violences, les inégalités. Il
ne s’agit pas de laisser l’enfant en dehors du monde mais de poser au
contraire qu’il y a un entrelacement entre éducation et gestion des
violences c’est-à-dire entre liberté et sécurité. L’écriture d’un «
livre blanc sur l’école » permettrait de produire une révolution
identique à celle du livre blanc sur la sécurité 32 qui a fait
disparaître la ligne de séparation entre sécurité et défense nationale,
allant jusqu’à faire dépendre la seconde de la première. En 1982 un
rapport d’un inspecteur général dénonçait « les prophètes et les
marchands dans l’éducation nationale » 33 , l’école n’est ni un
laboratoire d’essai ni un marché. La construction de la sécurité
scolaire doit s’édifier à partir de ce constat.
Conférence de Thierry Novarese produite dans le cadre du Colloque International d’Arras, Violences à l’école
: normes et professionnalités en questions »,
les 14 et 15 décembre 2011 à l’Université d’Artois. Titre de la
communication : « La sanctuarisation des établissements scolaires, état des
lieux ».
26 (Novarese, 2008) et (Courtois, Gautier, 2008)
27 Entretien avec Luc Pham, IA-IPR VS, octobre 2011.
28 (Fotinos, 2010).
29 (Skiba, 2011).
31 (Bauer, 2010)
32 Livre Blanc, 2008).
33 (Dieuzeide, 1982).
Bibliographie :
Bauer, Alain, mars 2010, Mission sur les violences en milieu scolaire, les sanctions et la place de la famille, rapport remis au ministre de l’Education Nationale, p.10, URL : http://media.education.gouv.fr/file/Mediatheque/11/9/Rapport-Bauer-mission-violences-scolaires_142119.pdf
Carra Cécile, Violences à l’école élémentaire. Les difficultés de construction d’un ordre scolaire, Questions pénales CESDIP UMR 8183, octobre 2009, URL : www.cesdip.fr.
Courtois, Jean-Patrick et Gautier Charles, juillet 2008, La vidéo-protection, conditions d’efficacité et critères d’évaluation, Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité, Saint-Denis pour le rapport au Sénat du 10 décembre 2008, URL : http://www.senat.fr/rap/r08-131/r08-131_mono.html
Debardieux, Eric, 3 avril 2010, Pas de schémas simplistes pour aborder un phénomène complexe, journal Le Monde, p.12.
Debardieux, Eric, 6 avril 2010, Des états généraux pour des réponses à long terme, journal Le Figaro, p.6.
Dieuzeide Henri, du 9 au 11 novembre 1982, Marchands et prophètes en technologie de l’éducation in Actes du colloque : Les formes médiatisées de la communication éducative, Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, p.77.
Fotinos, Georges, 7 avril 2010, L’exclusion, principale réponse à la violence scolaire, journal Libération, p.12.
Hugo, Victor (1862), Les Misérables (1993), Paris, Garnier.
Livre Blanc, juin 2008, Défense et Sécurité nationale : Le Livre Blanc, préface de Nicolas Sarkozy, Président de la République, Tome 1 et 2, éditions Odile Jacob, la documentation française, Paris.
Ministère de l’Education Nationale, (2011), direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, URL : http://media.education.gouv.fr/file/2011/48/6/DEPP-NI-2011-13-actes-violence-etablissements-publics-second-degre-2010-2011_197486.pdf
Noudelmann François et Aeschimann Eric (2009) blog du journal Libération, URL : http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/2009/06/sanctuariser-une-expression-diss%C3%A9qu%C3%A9e.html
Novarese, Thierry, Révolution managériale au NYPD, demain la France ?, Université Nancy 2 et l’Université de Pise, les 25 et 26 juin 2009 à Nancy, URL : http://gree.univ-nancy2.fr/digitalAssets/50983_NYPD_-_novarese.pdf
Novarese Thierry, L’intervention policière sous vidéo, sécurité, contrôle et libertés, La Société Terminale, colloque organisé conjointement par l’Université Marc Bloch (Strasbourg), le laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (UMR 7043) et le Centre National de la Recherche Scientifique, vendredi 14 novembre 2008.
Ogien Albert, 1999, Sociologie de la déviance, Paris, Armand Colin.
Perron, Denis, 7 avril 2010, comment les « psys » analysent la violence scolaire, journal La Croix, p.10. Salas, Denis (2010) La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Paris, Fayard-Pluriel.
Skiba Russel, L’éducation mise en coupe réglée, supplément « Géo&politique » au journal Le Monde du dimanche 23 et lundi 24 octobre 2011, p.5.
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