mercredi 18 décembre 2013

« Individualiser la peine », entretien avec Pierre Lyon-Caen.

« Individualiser la peine »  entretien avec Pierre Lyon-Caen, avocat général honoraire à la Cour de cassation, Pierre Lyon-Caen est membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Au cours de sa carrière il a été directeur adjoint du cabinet du garde  des sceaux Robert Badinter, procureur de la République de Nanterre et avocat général à la chambre sociale de la Cour de cassation.


Quelle est votre analyse du projet de réforme pénale présenté par Christiane Taubira ?
Cette réforme vise à personnaliser davantage la sanction. Elle rappelle aussi que la prison n’est pas la seule peine possible.
On considère malheureusement souvent dans notre pays qu’en l’absence d’une condamnation à de la prison ferme, il n’y a pas de véritable sanction. C’est un sentiment partagé, y compris par les condamnés, qui qualifient souvent le sursis de « petite relaxe ». Cette idée est détestable.
Quand j’étais procureur de la République, j’ai souvent constaté qu’en l’absence de demande de peine de prison, les policiers se considéraient comme désavoués : « Nous attrapons les coupables, vous les relâchez ».
Il y a pourtant d’autres possibilités, comme le sursis ou les travaux d’intérêt général. Ce n’est pas parce que l’on ne met pas la personne en prison qu’on ne réagit pas. Je suis favorable au développement d’une troisième voie, entre prison et relaxe, qui consiste à mettre en œuvre des solutions moins lourdes et moins désocialisantes.
La réforme présentée par la Garde des Sceaux instaure une nouvelle peine, appelée « contrainte légale », qui est une modalité d’exercice de la peine en dehors de la prison. Il faudra bien sur, ce que ne fait pas le texte, envisager une sanction adaptée en cas de non respect de la contrainte.
Cette réforme prévoit enfin la suppression des « peines planchers », qui contraignaient les magistrats à appliquer une sanction prédéfinie aux récidivistes. Or, le rôle essentiel du magistrat est d’individualiser la peine, c’est sa fonction même. Certes, il pouvait encore exceptionnellement le faire, mais cela lui demandait un travail de rédaction de motivations tel qu’il y renonçait souvent faute de temps. C’était une mesure d’affichage, d’efficacité nulle, qui a rempli les prisons sans faire baisser en aucune façon les chiffres de la criminalité. De plus, cette loi était largement redondante. Aucun magistrat au monde ne traite de la même façon quelqu’un qui a commis un délit pour la première fois et un récidiviste. Il est bien évident que les magistrats sont plus sévères avec les individus qui se présentent devant eux pour la deuxième fois. Cela va de soi. Mais cette mesure purement médiatique engendre des injustices, dans les cas où sont établis des faits de récidives minimes (deux très petits larcins par exemple). Elle contraint les magistrats à prononcer des sanctions disproportionnées et non appropriées.
Cette abrogation est attendue très impatiemment par l’ensemble des magistrats. Je ne regrette qu’une chose, c’est que le projet ne soit pas discuté par le Parlement avant les municipales de mars 2014.

Selon vous, que manque-t-il au projet de la Garde des Sceaux ?
Je précise que je m’exprime à titre personnel, puisque la CNCDH a été saisie par la Garde des Sceaux et va rendre un avis sur le projet.
Je regrette que ce projet ne comporte pas l’abrogation de deux autres lois du précédent gouvernement :
-       La rétention de sûreté : cette mesure permet de priver quelqu’un  de liberté, jusqu’à sa mort, sans jugement. Or, si l’individu est dangereux, il peut être placé d’office dans un Hôpital psychiatrique à la fin de sa peine. Cette loi est donc contraire à tous les principes républicains, et j’espère que les parlementaires déposeront un amendement en faveur de son abrogation.
-       Le tribunal correctionnel pour mineur, qui consiste à imiter en tous points la juridiction des adultes pour les mineurs à partir de 16 ans. Le ministère indique que cela pourrait faire partie d’une autre réforme concernant la justice des mineurs, mais il y a vraiment urgence.

Pouvez-vous revenir sur la troisième voie dont vous parliez tout à l’heure : quelles sont les alternatives à la prison ?
La prison entraîne toujours la perte de l’emploi et donc des ressources de la famille du détenu. Il faut prendre conscience qu’il y a d’autres sanctions possibles, qu’il faut absolument privilégier pour les infractions dont la gravité est réduite. Et cette panoplie permettra de répondre à des infractions qui autrement resteraient sans réponse pénale. Autrefois, le parquet classait sans suite les affaires peu importantes parce qu’il n’était pas en mesure de les juger dans un délai raisonnable. Je pense qu’il faut qu’il y ait une réaction de la justice à toute infraction, mais cette réaction doit être adaptée et proportionnée.
Deux mesures essentielles peuvent être mises en œuvre dans le cas de délits modérés.
Tout d’abord, le classement sous condition : le parquet classe l’affaire quand l’auteur de l’infraction apporte la preuve qu’il a réparé sa faute et indemnisé la victime. Les mesures de réparation peuvent aussi consister dans un travail de nettoyage. Par exemple, l’auteur de tags dans le métro peut travailler une journée dans l’équipe de nettoyage de la RATP.
D’autre part, la médiation pénale : le procureur désigne des délégués, magistrats, policiers ou enseignants à la retraite, qui reçoivent les auteurs et les victimes de petites infractions. On demande à la victime de formuler la réaction qu’elle souhaite : des excuses, une indemnisation, autre chose…On est heureusement surpris : très souvent, les victimes sont satisfaites lorsque l’auteur de l’infraction leur présente des excuses sincères. La mesure apaise la victime et permet à l’auteur des faits de s’amender sans être désocialisé.
J’ai le souvenir d’un lycéen qui avait tenu des propos racistes à l’égard du proviseur de son établissement. Le proviseur a expliqué au jeune l’absurdité de ses propos, en lui faisant un petit cours d’histoire des religions. Du coup, le lycéen s’est excusé platement et ils sont repartis bons amis. Cette modalité est évidemment préférable à une audience qui en aurait fait une affaire d’Etat, aurait monté les communautés les unes contre les autres et compromis l’avenir du jeune homme.
La prison peut-elle être une bonne peine ?
La prison est un mal, en elle-même, mais c’est un mal nécessaire. J’aimerais vivre dans un monde où la prison ne sera plus nécessaire, mais ce monde n’est pas près d’arriver. En revanche, en dehors des infractions très graves, il faut éviter la prison chaque fois que c’est possible, la considérer comme la solution ultime quand toutes les autres ont été envisagées.
La prison doit être aussi accompagnée des mesures qui pourraient réduire le taux de récidive. La peine, c’est la privation de liberté, et rien d’autre. Mais dans les faits, dans la plupart des cas, la détention s’accompagne d’atteintes à la dignité. Le détenu devrait être seul la nuit et pouvoir travailler dans la journée. Or, quand 2, 4, 6 détenus partagent la même cellule exigüe, avec des toilettes non séparées du reste de la pièce, tout peut arriver.
Ces conditions matérielles se conjuguent à des mesures de sécurité attentatoires à la dignité. Chaque fois que le détenu rencontre une personne extérieure à la prison, avocat ou famille, il est fouillé à nu. Cette mesure est aussi humiliante qu’inefficace. L’installation de portiques détecteurs de métaux permettrait de l’éviter.
Par ailleurs, le temps de la prison devrait être mis à profit pour rendre la sortie de prison envisageable sous un meilleur jour. Dans l’immense majorité des cas, celui qui entre en prison en sortira nécessairement un jour. Il faudrait profiter de ce temps pour donner une formation professionnelle à ceux qui n’en ont pas. Une activité rémunératrice doit être possible pour  tous afin qu’ils gardent ou découvrent l’habitude de travailler tous les jours, et puissent améliorer l’ordinaire (louer une télé par exemple) et avoir un petit pécule à leur sortie. Ceux qui sont border-line devraient évidemment bénéficier d’un suivi psychiatrique. Aujourd’hui, même les choses les plus élémentaires comme l’aide à la constitution de leur dossier administratif pour obtenir des papiers d’identité ou le RSA ne sont pas possibles. S’ils relèvent du RSA, celui-ci est versé au greffe, et ils touchent cet argent à leur libération, ce qui leur donne quand même des chances plus grandes de ne pas tomber dans la récidive que celui qui se retrouve dehors sans rien d’autre qu’un ticket de bus…Sans travail, sans formation, sans papier, sans ressource, n’est-il pas évident que leur vie future est très compromise ?
Que pensez-vous du bracelet électronique ?
Le bracelet électronique n’est pas la panacée, mais il a l’énorme avantage d’éviter la prison. De plus, son usage est nécessairement limité, car il demande des moyens matériels et humains, pour le contrôle des déplacements des condamnés. Ce n’est pas le cas de la prison : même si les prisons sont surpeuplées, les magistrats peuvent prononcer des peines d’enfermement. Les magistrats devraient connaître l’état de la population carcérale au moment où ils prononcent un jugement, cela les aiderait peut-être à envisager aussi les autres possibilités. En Belgique, quand un magistrat décide d’envoyer quelqu’un en prison, quelqu’un d’autre doit en sortir. C’est une mesure qui me semble saine. Il ne s’agit évidemment pas de libérer n’importe qui, mais huit jours de plus ou de moins ne changeront rien à la nature de la peine.

paru dans le n°8 de "Regards croisés", décembre 2013.



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