mardi 23 octobre 2012

Une présomption de légitime défense pour les policiers


 Vers une présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre.

Aujourd'hui un policier qui tire sur un individu qui prend la fuite après avoir tenté de le renverser avec son véhicule peut se voir accusé d'homicide volontaire. Le policier est lié au droit commun qui stipule "N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même et autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense." Art. 122-5 du Code Pénal. C'est sur la présence de la formule encadrée " ,dans le même temps," que les juges peuvent s'appuyer pour incriminer le policier si la correspondance entre l'attaque et la défense n'est pas simultanée. Ce texte s'applique non pas exclusivement aux policiers mais à toute personne qui se trouve en situation de devoir subir, ou de voir subir, par autrui une atteinte à son intégrité physique. La différence étant que cet article régit l'usage de l'arme létale porté par les policiers. Le gendarme est lié à un autre article et un autre code puisqu'il relève de la Défense nationale (article L2338-3 du Code de la défense). La différence est d'importance car le gendarme une fois les sommation d'usages faites peut faire usage de son arme, de la même façon qu'il peut tirer sur un véhicule en fuite si celui-ci avait menacé sa vie par exemple en forçant un barrage routier. Le policier ne pouvant faire usage de son arme une fois le danger passé. La notion de menace est présente pour le gendarme et suffisante pour décider de l'usage de son arme, la notion de fuite est présente pour lui car il peut pour empêcher une tentative "d'échapper à sa garde" décider du déploiement de la force armée. On le voit dans cette démonstration le gendarme peut produire un "pont" entre l'instant présent et celui qui l'anticipe et le suit. L'évaluation du risque est possible et permet une intervention avant la mise en danger du gendarme dans l'exercice de ses fonctions, de même que l'action de défense du gendarme peut empiéter sur l'avenir lorsque sa vie ayant été mise en danger il intervient pour neutraliser le délinquant. Ce cadre est celui du passage de l'instant au présent. L'instant ne reconnaît que le moment de l'action comme lieu de la légitime défense alors que le présent est une épaisseur de temps, une durée, qui entoure l'action criminelle et protège juridiquement le policier lorsqu'il fait usage de son arme.
L'imminence peut devenir ainsi une notion juridique qui légitime l'action avant que la vie du policier soit en danger. De même qu'elle la légitime après coup lorsque l'action de mise en danger du policier n'est plus présente mais que l'infraction est reconnue et que le délinquant tente de fuir.

Il y a une nécessité à unifier un double corps de lois, d'autant que la gendarmerie nationale est aujourd'hui intégrée dans les forces de la police nationale et sous le commandement du Ministre de l'Intérieur. La protection des policiers en passe par une refonte de la légitime défense autour de cette notion "d'imminence" du danger. Une présomption de légitime défense n'est pas un blanc seing donné aux policiers mais permettrait de lever l'ambiguïté sur les conditions à la fois de l'action et de la protection des personnels.

Rappelons que le corps des policiers est celui qui est le plus contrôlé et le plus sanctionné de tout l'ensemble des fonctionnaires, bien loin de l'impunité qui lui est souvent prêté par le grand public. Le policier doit répondre de l'usage de la force devant différentes instances, interne et externe. L'usage de l'arme de service demeure exceptionnel et doit le demeurer, rappelons cependant que même lors d'attaques brutales contre les forces de l'ordre ces dernières évitent autant que possible de recourir à un armement létal. Pour autant il semble impossible aujourd'hui de ne pas adapter la légitime défense à la protection des représentants de l’État qui doivent, comme tels, êtres exemplaires, mais doivent aussi trouver un cadre juridique protecteur lorsque leur vie se trouve menacée. Cet encadrement juridique aurait aussi pour effet de freiner les attaques délibérées contre les policiers, le cadre restrictif de la loi ayant pour conséquence d'empêcher les policiers de répondre par la force à la force, ce que les délinquants n'ignorent pas.

En même temps il faut aussi réfléchir l'effet de cette présomption de légitime défense sur les policiers eux-mêmes, il ne s'agit pas qu'un policier se croit désormais en droit de tirer sur une personne car il se penserait protégé par le droit. Il faut accompagner cette mesure d'une formation spécifique en école de police sur les limites de cette loi qui n'est bien sûr un aval sans condition aux forces de l'ordre. Il s'agit de reconnaître la spécificité du travail du policier et sa proximité avec une violence de plus en plus importante dans les attaques dont ils sont l'objet.

 Vous trouverez ci-après une proposition de loi visant précisément à poser une protection pénale des policiers et qui reprend l'idée d'un alignement de la procédure sur l'usage des armes sur celle des gendarmes et des militaires. Cette proposition date du 18 septembre , la procédure d'examen de ce texte est engagé, j'en rapporte ici intégralement le déroulé :



N° 767

SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 septembre 2012
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l'usage des armes à feu,
PRÉSENTÉE
Par MM. Louis NÈGRE, Pierre CHARON, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Mme Natacha BOUCHART, MM. Christian CAMBON, Jean-Noël CARDOUX, Gérard CÉSAR, Jean-Pierre CHAUVEAU, Mme Isabelle DEBRÉ, M. Roland du LUART, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, Hubert FALCO, Mme Jacqueline FARREYROL, MM. Louis-Constant FLEMING, Bernard FOURNIER, Jean-Paul FOURNIER, Jacques GAUTIER, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, M. François GROSDIDIER, Mme Christiane HUMMEL, MM. Roger KAROUTCHI, Marc LAMÉNIE, Antoine LEFÈVRE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-François MAYET, Jackie PIERRE, Mme Catherine PROCACCIA, M. Bernard SAUGEY, Mme Esther SITTLER, MM. François TRUCY, René VESTRI, François-Noël BUFFET, Michel SAVIN et Gérard CÉSAR,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi a pour objet de faire évoluer le droit de la légitime défense dans un sens plus protecteur pour les fonctionnaires de police.
Cette protection se justifie pour des raisons évidentes compte tenu de l'augmentation de la violence des agressions commises à l'égard des forces de police.
Le contexte actuel est alarmant.
Le drame récent de Collobrières, avec deux gendarmes assassinés, encore présent dans tous les esprits confirme l'extrême dangerosité des malfaiteurs. Certains n'hésitent plus à ouvrir le feu face aux policiers.
Plus récemment, lors d'un cambriolage, une policière cagnoise a été contrainte, au vu de la législation actuelle, de rengainer son arme, alors même qu'elle était violemment et volontairement agressée. Ce geste aurait pu lui être fatal.
La mort du Lieutenant Éric LALÈS touché par des tirs de kalachnikov le 28 novembre 2011 alors qu'il poursuivait des cambrioleurs l'illustre également tragiquement. Les agressions pouvant conduire à des blessures très graves voire attenter à la vie même des agents se multiplient malheureusement toutes les semaines. Les 16 et 17 septembre 2012 à nouveau, deux policiers ont été violement agressés à Mulhouse et à Nice.
Ces situations sont malheureusement trop nombreuses, et par peur de poursuites administratives ou judiciaires, des policiers ont pu hésiter à se défendre, devant des agresseurs dénués de tout scrupule.
Aujourd'hui, nos policiers et nos gendarmes sont quotidiennement confrontés à des situations très dangereuses. Ils doivent faire face à une nouvelle forme de délinquance, dont les acteurs n'hésitent pas à utiliser des armes de guerre contre eux. Leurs actions se font désormais de plus en plus fréquemment au péril de leur vie. Cet état de fait ne saurait perdurer.
Dans la conjoncture de cette nouvelle criminalité, plus violente et banalisée, il faut donner aux forces de l'ordre les moyens de se protéger et de pouvoir exercer leur mission le plus sûrement possible. Contrairement aux gendarmes et aux douaniers qui peuvent le faire après des sommations verbales et dans des conditions limitatives, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme à feu qu'en réponse à une agression de même nature.
Mais le strict respect de la légitime défense, en l'état actuel du droit, met quasiment sur le même plan les malfaiteurs et les forces de l'ordre. C'est moralement, psychologiquement et concrètement inadmissible. Le droit commun qui s'applique aux policiers n'est donc plus adapté.
Cette insécurité juridique est malheureusement confirmée par la qualification d'homicide volontaire retenue par le Parquet de Bobigny à l'encontre d'un policier, après le décès d'un homme recherché pour des vols à main armée lors d'une intervention à Noisy-le-Sec, le 21 avril 2012. Il est inacceptable qu'aujourd'hui, en France, un policier doive avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter. Le fondement même de l'État de droit suppose qu'un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions ne soit pas mis sur le même plan qu'un délinquant. 
Par ailleurs, la mission de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes mise en place par le ministre de l'intérieur, a malheureusement écarté l'option consistant à créer un nouveau cas de présomption de légitime défense, méconnaissant ainsi la gravité de la situation.
C'est pour tenter de remédier à cette situation inacceptable que la législation doit être adaptée. Elle doit donner la possibilité aux policiers de faire usage de leurs armes dans un cadre légal protecteur des forces de l'ordre et sous réserves de certaines conditions limitatives. Plusieurs pays européens disposent d'ailleurs d'un cadre juridique similaire. Dans un État de droit, si les délinquants bénéficient de la présomption d'innocence, il est tout aussi légitime que les forces de police bénéficient de la présomption de légitime défense.
C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi a pour objectif de compléter les dispositions du code pénal, afin de créer une présomption de légitime défense spécifique aux forces de l'ordre et de définir très précisément le cadre légal de l'usage de leurs armes.
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure est complétée par un article 143 ainsi rédigé :
« Art. 143. - Les fonctionnaires des services actifs de la police nationale peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer l'usage des armes dans les cas suivants :
« 1° Lorsque des violences, des voies de fait ou tentatives d'agressions sont exercées délibérément contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés dès lors qu'il y a eu sommation ;
« 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
« 3° En cas de crimes ou de délits graves, lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de « halte police » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ;
« 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt.
« Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations. »
Article 2
Il est ajouté deux alinéas à l'article 122-6 du code pénal ainsi rédigés :
« 3° Dans le cadre des autorisations accordées aux officiers et sous-officiers de gendarmerie à l'article L. 2338-3 du code de la défense.
« 4° Dans le cadre des autorisations accordées aux fonctionnaires des services actifs de la police nationale à l'article 143 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. »


 .

lundi 22 octobre 2012

La Direction centrale du Renseignement intérieur


L'acte de naissance de la DCRI repose dans la volonté politique de faire fusionner la Direction de la surveillance du territoire  (DST) avec les Renseignements généraux (RG). Il s'agit certainement d'abord d'une décision politique qui vise à permettre la création d'une centrale d'intelligence permettant de multiplier les renseignements principalement sur le terrain de la lutte antiterroriste. La DST souffrait certainement de son isolement et en même temps se plaçait comme une centrale de renseignement avec des prérogatives qui pouvaient échapper au contrôle politique ou parlementaire (à l'instar des centrales américaines de renseignement). Le gain est aussi dans la minoration du rôle des RG dans le paysage de la délinquance. Les RG étaient le pouls du pays, des régions, des villes, des quartiers. Leur rôle auprès des préfectures et des préfets étaient de première importance, au point que lors de cette fusion les préfets se soient émus de la perte de cette voix de guidage dans la construction d'une politique de sécurité.On se souvient que lors des émeutes de 2005 la seule ville relativement épargnée fut Marseille qui disposait de renseignements précis permettant d'intervenir en amont de l'émeute : le rassemblement prévu sur le parking d'un supermarché par des jeunes fut contrôlé par des forces importantes de police, ce déploiement permis de procéder à plusieurs interpellations pour des délits mineurs. L'émeute fut ainsi évitée. Les RG depuis longtemps troublent l'espace politique par la création de tableaux qui permettent une lecture pointue de la délinquance, ce qui bien sûr engendre un malaise face à des chiffres qui prennent une forme exponentielle.


Les RG étaient nés en 1907, la DST en 1944, leur fusion sous le sigle DCRI date du 1er juillet 2008. Nous sommes dans la ligne de la sécurité globale et du livre blanc sur la défense : il faut coordonner la lutte des polices pour lutter plus efficacement contre toutes les atteintes aux intérêts de la nation. Les RG visaient une connaissance étendue des territoires et engageaient leur action du côté de la connaissance des populations, le terme de "généraux" signifiant la diversité des tâches et des donneurs d'ordres possibles. Désormais les missions sont plus liées à la lutte antiterroriste : "prévenir et réprimer, sur le territoire de la République, les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances ou des organisations étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays.  L'objectif de la DCRI est de déceler et de neutraliser toute menace résultant des activités de services de renseignement de pays adverses, d'organisations ou d'agents se livrant à l'espionnage, au sabotage ou à la subversion". La position de la DCRI est donc celle d'une centrale de renseignement au sens du contre-espionnage, tant sur le plan de la prévention des actes terroristes que sur le sol de la guerre économiques et industrielles. La conservation d'un volet de lutte contre les atteintes à la sureté de l’État permet de conserver l'expertise des RG. La concurrence possible entre ces anciens services se trouve annulée par la fusion qui donne un nouvel élan à la lutte antiterroriste. La prise en charge de la cybercriminalité (qui comprend la surveillance des réseaux sociaux et de l'usage d'internet) est désormais une des missions de la DCRI.


 L'attaque contre la DCRI posée aujourd'hui par différents journaux à propos du terroriste Merah ne tient pas compte d’éléments de terrain. Merah semblait un candidat possible pour les services de renseignements car tout dans son système de vie semblait démentir l'engagement salafiste. La volonté de le recruter était donc légitime, l'immaturité qu'il affichait dans ses mises en scènes en même temps que son attachement à la consommation permettaient d'envisager une approche, à un moment précisément où il n'était pas possible de l'interpeller puisque la loi ne pouvait pas faire un délit de la participation supposée à un camp d'entraînement à l'étranger. Merrat était un "tafkir", ceux qui passent du côté de l'islam radical tout en cachant leurs plans terroristes et en semblant adhérer au moins en partie au mode de vie occidental. Il est alors extrêmement difficile de trouver des éléments solides pour intervenir en amont. Certes l'attitude de Merah est suspecte, des liens avec des fondamentalistes, des habitudes de clandestinité dans ses communications et sa présence dans des zones à risques terroristes auraient justifiés son interpellation, mais l'absence de preuve pour les tribunaux était le gage d'une libération immédiate. La question du terrorisme pose bien sûr d'une façon criante la place de la prévention et des méthodes utilisables en une démocratie. Ceux qui accusent aujourd'hui la DCRI de "légèreté" auraient criés les premiers au déni de liberté si à l'instar des États-Unis nous extrayions les terroristes supposés pour les neutraliser.

La seule solution étant dans la multiplication du personnel policier pour obtenir des résultats notables et permettre de suivre au moins en partie tous les jihadistes supposés. Le renforcement de la loi antiterroriste permettra d'agir si simultanément des moyens et une liberté plus grande sont donnés aux services secrets.